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Roy Lichtenstein, impression, graphisme et art

    L’exposition « Roy Lichtenstein, visions multiples » au BAM à Mons, m’incite à rédiger cet article. Certes, on ne peut qualifier cet artiste de coloriste. Pourtant, la scénographie de cette exposition et le choix de couleurs très restreint, notamment dans ses oeuvres les plus connues, et les recherches de l’artiste méritent de s’y attarder.

    Roy Lichtenstein, Hot dog (1964) (Photo V. Lacroix, exposition « Visions Multiples » au BAM)

    Dans cette image tout est dit. Les oeuvres de Lichtenstein seraient-elle à l’art ce que le fast food est à la culture gastronomique? Plaisent-elles plus à la masse qu’à l’élite? La question que pose le journaliste du Life en 1964 « [Roy Lichtenstein] est-il le pire artiste aux Etats Unis? », le laisse penser.

    Archive du Life du 31 janvier 1964

    Depuis cependant, si le public et les critiques restent divisés, les investisseurs ne le sont pas. Ses oeuvres continuent en effet à prendre de la valeur. Voyez ci-dessous le prix de deux tableaux: 27.030.500 $ pour « White Brushstroke I » et 24.501.500 $ pour « Tête de femme », vendus respectivement en 2020 et 2017.

    Vente de deux tableaux de Roy Lichtenstein en 2020 et 2017 (source)

    Fast food, Fast Art?

    Roy Lichtenstein est un travailleur acharné. Ces images simples n’ont rien d’un travail expéditif. Perfectionniste, il lui arrive de reprendre une dizaine de fois une impression pour arriver à un rendu qui lui convienne. La forme imprimée est sa source d’inspiration.

    L’allusion au fast-food fait partie du registre « Pop » (pour populaire) du mouvement du même nom. Dans le guide du visiteur on lit: « Peu à peu, la couleur de l’objet devient pour Lichtenstein objet-couleur ». Ici, le hot-dog perd en effet sa matérialité; les couleurs et le dessin relèvent plus de la synthèse que de l’objet. Celui-ci disparaît pour devenir quasi iconique.

    Pop Art

    Roy Lichtenstein au BAM, Nature morte avec théière et plante (1974)
    Roy Lichtenstein au BAM; à gauche, « Rêverie » (1965), à droite, une sculpture (photos V. Lacroix).

    Outre les objets usuels, la publicité et les comics sont pour l’artiste sources d’inspiration. Mêmes les couleurs traditionnelles de ces médias s’y retrouvent et pratiquement toujours au même niveau de saturation: rouge, jaune, bleu et bien sûr le noir et blanc. À ce titre, l’artiste aurait pu illustrer le défi #3.

    Remarquez également comme le scénographe de cette exposition a puisé dans cette palette pour la décoration de tout l’espace qui lui est dédié.

    La composition avant l’objet

    Lichtenstein accorde énormément d’importance à la composition de son tableau. Comme beaucoup d’autres artistes, au cours de l’élaboration de son travail, il le regarde régulièrement dans un miroir, afin de s’assurer que « la composition tient ».

    Mieux encore, il a conçu un mécanisme pour faire pivoter son tableau de haut en bas, à nouveau pour mieux juger de la composition. L’objet représenté n’a plus d’importance à ce stade, seul l’équilibre des formes et des couleurs a de l’importance.

    Dans la vidéo ci-dessous, extrait du documentaire « Derrière le miroir », réalisé par Eventhia Lachaud et produit par Nicolas Valode, vous découvrirez notamment le chevalet ainsi transformé. Par ailleurs en cinq minutes vous aurez une idée du personnage derrière l’artiste.

    Extrait du documentaire « Derrière le miroir », réalisé par Eventhia Lachaud et produit par Nicolas Valode

    Graphisme et impression

    Partout dans l’oeuvre de l’artiste, on retrouve cette fascination pour la trame, ce principe d’imprimerie qui joue sur la perception pour créer des nuances à partir d’un nombre limité de couleur. Par exemple, pour créer un gris, l’imprimeur espace des lignes noires. La grosseur des lignes et la largeur des espaces déterminent la valeur du gris perçu. En donnant à la trame une dimension inhabituellement grande, l’artiste met en évidence ce procédé. Si vous regardez la nature morte ci-dessous, suffisamment loin, le fond vous apparaîtra gris alors que cette couleur n’est pas dans le tableau.

    Lichtenstein, Nature morte avec citron et verre (1974)

    Ce travail donne lieu à des images très graphiques. Leur simplicité n’est qu’apparente. Remarquez en effet la complexité du rendu du verre et des effets de lumières sur celui-ci. Cet exemple aurait pu figurer dans le défi #6.

    Les points de Ben-Day

    Une trame n’est pas toujours linéaire. En effet, la technique des points de Ben-Day utilise quant à elle des disques qui se superposent. Dans ce cas, plusieurs phénomènes se conjuguent. Les deux trames de points légèrement décalés produisent une nouvelle couleur par synthèse soustractive. Par exemple, une trame de points jaunes sur fond magenta produira des points rouges.

    Ci-dessous, la trame bleue sur le rouge crée quasi du noir par synthèse soustractive. Ce dernier occupe une taille qui varie selon la superposition des points. Vus de loin, ces différents fragments de disques rouges, bleus, noirs ainsi que le fond magenta sont assimilés par les capteurs de notre rétine; on parle alors de mélange optique. Ce procédé permet de créer d’autres couleurs que celles qui sont utilisées à l’impression.

    La technique des points Ben-Day. Sur un fond magenta uniforme, une impression de disques jaunes produit du rouge; une impression supplémentaire légèrement décalée de points d’un bleu uniforme produit de nouvelles nuances. (source: Wikipedia)

    Lichtenstein a fait de cette trame de points sa signature artistique. Elle est omni présente dans les travaux imprimés comme dans les sculptures. À nouveau c’est la magnification de cette trame qui confère un caractère particulier à la peinture où elle figure.

    Sculpture

    Plusieurs sculptures colorées dont les ombres projetées révèlent un beau graphisme (photo V. Lacroix)
    Ombre graphique abstraite produite par une sculpture.
    Même le plan graphique d’une maison peut se transformer en sculpture

    Les sculptures de Roy Lichtenstein sont ludiques, joyeuses et souvent colorées. Comme pour ses peintures, s’il ne se limite pas au noir, l’artiste utilise une gamme restreinte: jaune, noir, bleu et rouge.

    Recherches

    La dernière salle de l’exposition partage les recherches de l’artiste en terme de matériaux. Tantôt on découvre des tapisseries où le feutre apporte une touche visuelle caractéristique, tantôt il s’agit de céramique ou encore d’acier inoxidable. Le Rowlux reste cependant un de ses supports favoris.

    La fameuse trame de points Ben-Day en feutre (détail)
    Impression sur céramique (détail)
    Impressions sur des matériaux réfléchissants

    Scénographie

    Dans un article précédant j’ai évoqué la mise en valeur de tableaux par un choix réfléchi de couleurs sur les murs qui les accueillent. Vous y aviez vu la réalisation du couple d’artistes Jacqy duVal.

    Lichtenstein, sculpture mise en valeur par une mise en scène étudiée (photo V. Lacroix)

    Au BAM, pour cette exposition, tout a été déployé pour magnifier l’oeuvre de l’artiste. La mise en scène, y compris dans le choix de la couleur des murs, les annotations graphiques sur le sol, le travail de communication, le catalogue, le guide du visiteur, tout contribue à donner une cohérence à la réception visuelle de cette exposition. Personnellement j’y ai été très sensible.

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    1 commentaire pour “Roy Lichtenstein, impression, graphisme et art”

    1. Merci, Vinciane, d’avoir donné ta vision de cet artiste certes connu mais dont on ne soupçonne pas toujours l’intense travail derrière les créations.
      Expo à voir (mais il ne reste pas beaucoup de temps).

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