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Les couleurs complémentaires (I)

    La notion de complémentarité est fondamentale. Elle lie deux couleurs entre elles. Maîtriser cette relation vous permettra de mieux contrôler les interactions des couleurs, et donc créer de plus belles harmonies.

    Il existe plusieurs formes de complémentarité: additive, soustractive et optique.

    Les artistes sont plus familiers des complémentaires « soustractives »; ils connaissent les paires correspondantes par leur pratique des mélanges de peintures. Celles-ci sont cependant différentes des complémentaires additives, d’où une grande confusion en la matière.

    Les complémentaires « additives » et « optiques » sont très proches; comme elles sont au cœur de notre perception visuelle, je leur consacre ce premier article. Bruce MacEvoy les appelle à juste titre « complémentaires visuelles ».

    Mon point de vue ici est purement perceptuel. L’aspect artistique sera traité dans le défi #4.

    Les différentes formes de complémentarités visuelles

    Complémentaires additives

    Initialement la complémentarité a été définie pour des couleurs de lumière. On la visualise par deux projecteurs de couleur éclairant un écran blanc: là les rayons s’additionnent et donnent l’illusion d’un seul projecteur dont la lumière serait blanche, comme l’illustre l’animation ci-dessous, pour une lumière bleue et jaune.

    Quand des rayons de lumière de couleurs complémentaires sont projetées au même endroit, ils donnent l'illusion d'une lumière blanche.
    Bleu et jaune sont complémentaires; ils s’additionnent pour donner l’illusion du blanc. Vinciane Lacroix (CC BY-SA 3.0)

    Complémentaires optiques

    Fusion spatiale

    Si au lieu d’être projetés au même endroit, les rayons sont juxtaposés sur des petites surfaces que l’œil ne peut dissocier, les rayons fusionnent . Nos écrans d’ordinateur ou de téléphone tirent parti de ce phénomène.

    Ci-dessous, la photo de l’écran de mon portable vu au microscope. Vous croyez que votre écran est blanc? En fait, trois rayons de couleurs différentes donnent l’illusion du blanc. Ce blanc est moins lumineux que lorsque les rayons se superposent, c’est pourquoi on utilise un autre terme: on parle de mélange optique.

    Des rayons de lumières colorées sont juxtaposées sur l'écran de l'ordinateur; ils fusionnent pour donner l'illusion du blanc.
    L’écran blanc de mon ordinateur vu au microscope de poche.
    Vinciane Lacroix (CC BY-SA )

    Dans les deux images présentées plus haut, il s’agit de rayons lumineux. En fait, si vous me lisez sur un écran, il s’agira toujours de rayons lumineux.

    Par contre, si vous avez imprimé cet article, la figure ci-dessus vous apparaîtra sous forme de taches d’encres juxtaposées. Elles fusionneront de la même manière si elles sont vues d’assez loin. Votre perception dépendra des encres de l’imprimante et de la lumière ambiante. En tout cas, comme les couleurs d’encre sont nettement plus foncées, leur fusion optique donnera une impression non pas de blanc mais de gris plus ou moins neutre.

    Aussi, si deux couleurs juxtaposées donnent l’illusion d’un blanc (ou, dans le cas d’une forte perte de clarté, d’un gris) on parle de complémentaires optiques.

    Fusion temporelle

    Présentées à l’œil selon un rythme suffisamment rapide, les couleurs fusionnent également. La vidéo ci-dessous montre un disque en rotation, disque constitué de quartiers jaunes et bleus. L’anneau extérieur d’un gris neutre sert de référence: il permet de comparer les couleurs fusionnées. Les quartiers colorés fusionnent pour créer une illusion de gris jaunâtre. Les deux couleurs imprimées sur le disque ne sont donc pas tout à fait complémentaires.

    Disque en rotation; un jaune et un bleu fusionnent pour donner l’illusion d’un gris jaunâtre.

    Saviez-vous que ce dispositif, inventé par Ignaz Schiffermüller et Munsch au milieu du 18ème sciècle, et décrit en détail ici, a été utilisé de manière systématique par James Clerck Maxwell et Ogden Rood pour trouver des paires de complémentaires?

    Complémentaires fantômes

    Ne cherchez pas de référence scientifique à cette catégorie, je l’ai inventée pour rendre compte des « couleurs fantômes », ces couleurs qui n’existent pas mais qu’on perçoit quand on a fixé assez longtemps certaines images.

    Fixez le centre de l’image ci-dessous. Chacun des disques rouges semble à un instant changer de couleur.

    Quand on fixe le centre de l'image, après un certain temps, on a l'illusion d'une boule de couleur en mouvement
    Apparition de la complémentaire « fantôme »

    Pourtant les images de l’animation ne contiennent que du rouge et du gris. Le cyan qui apparaît successivement sur les disques rouges est la couleur complémentaire visuelle du rouge. Elle résulte d’une illusion: sur chacune des images de l’animation il manque un disque; notre œil ayant été exposé à ce rouge vif pendant un certain temps remplace le gris par la couleur complémentaire du rouge, le cyan. Comme la place du disque manquant change d’une image à l’autre, on a l’impression que le disque fantôme se déplace.

    Vous observerez le même phénomène si vous regardez une image statique et déplacez votre regard ensuite sur une zone neutre, comme une feuille blanche par exemple, ou une partie blanche de l’écran.

    Fixez le carré de gauche puis regarder celui de droite. La complémentaire visuelle du vert vous apparaîtra.

    L’expérience ci-dessus vous aura fait connaître la complémentaire visuelle du vert, à savoir le magenta.

    En résumé

    Toutes ces expériences sont des manifestations de notre système visuel. Comme les mêmes paires de couleurs apparaissent dans les différents cas de figures, que ce soit en additionnant les rayons (complémentaires additives) , en les fusionnant spatialement ou de manière temporelle (complémentaires optiques), ou encore sous forme de fantôme après une exposition à l’une d’elle (complémentaires fantômes), on peut qualifier leur relation de complémentaires visuelles.

    Très bien, mais comment trouver des paires de couleurs complémentaires visuelles?

    En pratique: trouver la complémentaire

    S’il s’agit de couleurs à l’écran, donc de couleurs « lumière », c’est facile. S’il s’agit d’échantillons de couleurs, c’est-à-dire des couleurs « matière », c’est plus compliqué, et encore plus si vous choisissez ces couleurs en fonction de votre écran.

    Couleurs lumière (couleur digitale)

    Pour trouver la complémentaire d’une couleur donnée, vous pouvez utiliser un disque chromatique comme celui de Wikipedia: les couleurs complémentaires sont situées de part et d’autre d’un diamètre. Comme les expériences l’ont montré plus haut, le jaune est la complémentaire du bleu, le cyan celle du rouge et le magenta celle du vert.

    Disque chromatique avec les degrés des espaces TSL / TSV par pas de 30.
    Auteur Sylveno (CC BY-SA 3.0)

    Attention, ne prenez pas les « roues chromatiques » des peintres, ni même celle d’Adobe, elles vous induiraient en erreur, nous le verrons dans un prochain article.

    Si vous disposez d’un utilitaire graphique, vous aurez accès aux valeurs TSL (Teinte, Saturation, Luminosité) ou HSL en anglais, le système de couleur utilisé dans ce disque chromatique. Dans ce système, une couleur a pour complémentaire toute couleur dont la teinte est diamétralement opposée soit une teinte= T + 180 °. Celle-ci peut être plus foncée ou plus claire, comme c’est le cas dans la figure ci-dessous où toutes les nuances de roses complémentaires à un vert donné sont présentées: au milieu, à gauche, le rose le plus foncé, à droite, le plus clair et en dessous un dégradé entre ces deux roses.

    Un vert et ses nuances complémentaires. V. Lacroix (CC BY-SA)

    Ainsi une couleur peut avoir plusieurs complémentaires; celles-ci auront toujours la même teinte mais varieront en clarté variable, comme les roses de l’exemple ci-dessus. L’essentiel est donc de connaître les paires de teintes complémentaires.

    A noter que bien que leur teinte ne soit pas définie, le blanc et le noir sont complémentaires.

    Couleurs « matière » (teinture, peinture)

    Comment savoir si un échantillon de couleur, que ce soit de tissu ou d’une peinture est une complémentaire visuelle d’un autre échantillon?

    Vous pouvez toujours avoir recours au disque rotatif décrit plus haut, mais ce n’est pas commode. Un autre moyen?

    Le problème est que cela dépend… de la lumière. En effet c’est la source de lumière qui va déterminer visuellement ce qui vous semblera « blanc ». On peut cependant définir la relation de complémentarité pour un « blanc » donné, ou plutôt pour un « illuminant », un éclairage.

    Aussi, si on s’accorde sur les conditions d’éclairage, on peut définir la relation de complémentarité visuelle.

    Si vous disposez d’un nuancier comme le RAL , le code couleur associé vous permet d’accéder à la complémentaire visuelle. Attention, certains nuanciers donnent la complémentaire soustractive et pas la complémentaire visuelle.

    Couleurs « matière » (impression)

    Les couleurs imprimées ne sont jamais identiques aux couleurs de l’écran. Déjà toutes les couleurs de l’écran ne sont pas imprimables. Pour celles qui le sont, les traduire en impression dépendra de votre écran, des encres de l’imprimante, des réglages respectifs de l’écran et de l’imprimante, et encore des conditions d’éclairage (voir la section précédante).

    Travailler avec un écran calibré et avec les profils colorimétriques de la gestion des couleurs résout certains problèmes, mais pas tous.

    L’idéal alors est de disposer d’un nuancier de couleurs qui précise la teinte.

    Utiliser un nuancier

    Disposer d’un ensemble de nuance de couleurs et connaître leur teinte ou leur complémentaire visuelle est très utile.

    J’ai créé un nuancier original sous forme de jeu de cartes qui montre pour chaque couleur ses propriétés de clarté, de teinte et d’intensité de couleur (saturation).

    Le jeu couvre l’ensemble des couleurs disponibles en impression digitale (procédé CYMK), de telle sorte qu’il est aisé de situer toute couleur existante par rapport à l’une ou l’autre des cartes du jeu. Les propriétés des couleurs se basent sur le même système que RAL présenté plus haut, différent de TSL car mieux adapté aux couleurs imprimées. Elles sont représentées par des symboles comme illustrés ci-dessous par deux « cartes » de ce nuancier.

    Cartes de couleurs complémentaires COLHORA (à imprimer en impression digitale) avec leur propriétés de clarté, de teinte et d’intensité de couleur. © V. Lacroix

    La clarté est représentée par une échelle, la teinte, par l’aiguille d’une horloge, et l’intensité de la couleur (saturation) par le remplissage d’un triangle. Par souci de simplicité la clarté et limitée à 6 niveaux, la teinte à 12 heures et l’intensité de couleur à 4 valeurs: 0, Small, Medium ou Large. Les teintes, à leur maximum d’intensité sont lisibles sur le cadran de l’horloge. Les teintes complémentaires présentent une différence de 6 heures.

    Pour les raisons expliquées plus haut, les propriétés des couleurs de ces deux cartes et résumées dans les symboles ne sont valides que pour l’impression que j’ai réalisée.

    Je consacrerai un article et des vidéos à ce jeu de cartes original.

    Par ailleurs, il n’est pas indispensable de connaître les complémentaires exactes de chaque couleur; connaître les paires données dans cet article et rappelées dans la figure ci-dessous en guise de conclusion est bien suffisant pour l’amateur de couleur.

    Conclusion

    Connaître les complémentaires visuelles revient à connaître la complémentarité de chaque teinte. Celle-ci est résumée dans la figure ci-dessous: une couleur et une nuance complémentaire en dessous.

    Paires de teintes complémentaires

    En numérique, optez pour le système TSL-HSL de Wikipedia ; il permet de trouver une complémentaire visuelle en ajoutant 180° à la teinte. Notez que le système TSL de photoshop est différent: cette règle n’est pas applicable.

    Expérimentez

    À présent, à vous de jouer. Trouvez des complémentaires aux couleurs qui vous plaisent ou aller à la pêche aux complémentaires dans photographies digitales (voir le défi #4). Cherchez des situations où les couleurs fusionnent ou créez des disques pour voir si des couleurs sont complémentaires dans vos conditions d’éclairage.

    En dehors de l’expérience proposée ici, quand avez-vous observé une couleur « fantôme » pour la dernière fois?

    N’hésitez pas à commenter cet article, et essayez le défi #4.

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    3 commentaires sur “Les couleurs complémentaires (I)”

    1. Bonjour,
      Article très intéressant, merci.
      Cependant, je suis à la recherche d’une méthode pour trouver, à partir d’une couleur donnée, sa complémentaire sur le cercle chromatique (donc facilement utilisable en développement informatique). Mais pour cela, utiliser la roue chromatique d’Adobe (ou des peintres). C’est à dire, pour vous donner un exemple, à partir du rouge (h=0), tomber sur le vert (h=137) au lieu de tomber sur le cyan (h=180). J’espérais trouver un début de réponse dans la suite de cet article, que vous mentionnez (« Attention, ne prenez pas les “roues chromatiques” des peintres, ni même celle d’Adobe, elles vous induiraient en erreur, nous le verrons dans un prochain article. »), mais je n’ai pas l’impression qu’il soit rédigé.
      Pourriez vous m’indiquer quelle(s) recherche(s) effectuer, svp ?
      Merci,
      Cordialement,
      Thomas

      1. Bonjour Thomas, pour un développement informatique la solution la plus simple consiste à prendre le complément par rapport au blanc. En effet, la définition la plus stricte d’une paire de couleurs complémentaires est que leur « mélange » donne du blanc. Donc, si la couleur est (r,g,b) où 0<= r,g,b <= 1 donnant la quantité relative de rouge,vert et bleu, la couleur complémentaire sera (1-r,1-g,1-b). Comme le blanc est "relatif", une définition moins stricte dit que le mélange des deux couleurs complémentaires doit être neutre, soit n'importe quel gris. Avec cette définition, il suffit de convertir (r,g,b) en (h,s,v) — par exemple avec le module de colorimétrie du langage Julia (disponible en opensource) — et toute couleur (h+180,s',v') sera complémentaire. Ce sont des complémentaires "lumière". Les peintres croient à tord que la "roue des peintres" permet de donner des couleurs complémentaires "matière": des couleurs de peinture dont le mélange donnerait un neutre (un noir ou un gris foncé). Ce n'est pas possible: deux pigments qui ont la même couleur (i.e métamères) peuvent donner des couleurs différentes quand elles ont mélangées à une même autre couleur.
        En effet je n'ai pas encore fait l'article (II) qui devrait expliquer pourquoi. Bonne suggestion, mais le mélange des couleurs matière est beaucoup plus complexe, j'avais peur de perdre mes lecteurs…mais il s'avère que j'en aurai au moins un qui le lirait 😉

      2. Merci encore de ta question Thomas. Pour compléter ma réponse, il faut remarquer que les espaces de couleur n’ont pas la même définition de la complémentarité. J’ai mentionnés deux définitions dans l’article: la notion complémentaire par rapport au blanc et la complémentaire « visuelle » (quand un disque présentant deux couleurs mis en rotation donne un gris neutre). Dans ma première réponse et dans l’article je mentionne la complémentarité des peintres (qui ne devrait être utilisée qu’avec les pigments qui mélangés donnent en effet un neutre, j’en parlerai dans un nouvel article). Il existe aussi une notion de complémentaire « perceptive » où l’on place de manière opposée les couleurs qui semblent « les plus différentes »: le rouge et le vert d’une part et le jaune et le bleu d’autre part. Le système OSA (Optical Society of America) est basé sur ce principe. J’ignore sur quel espace de couleur la roue d’Adobe est construite mais c’est dans cet espace-là qu’il faudrait se placer pour trouver la complémentaire. A défaut tu peux transformer la couleur RGB en couleur OSA. Tu auras alors une couleur (L,g,j) et sa complémentaire sera (L,-g,-j).

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