Aller au contenu

Nathalie Balthazar: J’enseigne la couleur

    Dans cette série consacrée à l’enseignement de la couleur, voici l’article de Nathalie Balthazar, architecte d’intérieurs, plasticienne et professeur de couleur à l’Ecole Supérieure des Arts (ESA) Saint-Luc de Bruxelles.

    Si Nathalie a exercé quelques années en tant qu’architecte d’intérieurs, c’est surtout le métier d’enseignante qu’elle a embrassé. En effet, pendant 15 ans, elle a donné des cours dans l’enseignement secondaire, des cours préparatoires aux études d’architecture et d’architecture d’intérieurs. Ensuite, et ce, depuis 2004, elle enseigne exclusivement aux bacheliers en Arts de l’espace, dans l’option Création d’intérieurs. Outre les cours de couleur, elle donne également ceux de Design depuis ses débuts dans l’enseignement.

    Inspirée notamment par le travail de Jürgen Albrecht, Nathalie a développé pour ses étudiants une série d’exercices créatifs visant à explorer l’impact de la lumière, de la couleur et des matériaux, ceci en photographiant l’intérieur de maquettes de leur conception.

    Aussi a-t-elle élaboré dans sa propre recherche plastique des espaces imaginaires au départ de boîtes en carton, puis de papiers travaillés au dessin ou à la peinture, transformés en espaces plein de mystère par simple pliage et par la magie de l’éclairage.

    Intérieurs de boîtes, Nathalie Balthazar, 2015-2016

    Quant à ses compositions de papiers colorés plus ou moins translucides, elles nous invitent à apprécier un continuum de couleurs passant de l’une à l’autre, tantôt délicatement tantôt brutalement selon les contrastes pensés par l’artiste.

    Recadrages de Nathalie Balthazar, 2018

    Pour vos créations, inspirez-vous des exercices d’articulation d’angles et de conception de boîtes, vraiment originaux.

    Je vous laisse à présent dans les mains de l’architecte d’intérieurs, de l’artiste, du professeur.

    Entrez, c’est à l’intérieur que cela se passe

    Depuis plus de 20 ans, je donne à l’Ecole Supérieure des Arts le cours de Couleur en 1ère année de Bachelor. Comme le nombre d’étudiants y est important (+/-40), je travaille de concert avec un collègue. Pendant de nombreuses années avec Benoît Lallemand (Benoît Lallemand | Conceptuel / installation / Sculpteur / Plasticien / Artiste / Belgique (benoitlallemand.be), maintenant avec Maxence Mathieu. Depuis 4 ans, je suis également titulaire du cours de 2ème année. 

    L’objectif de l’option Création d’intérieurs est de  « (…) fournir à l’étudiant les compétences nécessaires pour élaborer un projet d’aménagement intérieur : de la formulation du concept, au développement du projet jusqu’à l’élaboration détaillée du mobilier et des finitions ».

    Dans ce cadre, le but du cours de Couleur est d’amener progressivement l’étudiant à acquérir une sensibilité et un savoir-faire dans le choix et la mise en œuvre des finitions d’un espace intérieur. L’identité ainsi donnée à un lieu est déterminée par le contexte, tant matériel que culturel, voire historique, et par le programme souhaité par le maître d’ouvrage. 

    Le cours de Couleur, de 3 heures/semaine, vient en soutien à l’atelier principal de création d’intérieurs. Ce dernier confronte l’étudiant, par des projets de conception sur mesure, de mobilier et d’espaces intérieurs, à la complexité des arts appliqués où les choix esthétiques (formes, liaisons, proportions, géométrie, couleurs, matériaux…) sont en permanence entremêlés, imbriqués aux contraintes et aux partis pris techniques, fonctionnels. Et dans une moindre mesure, aux facteurs économiques mis temporairement de côté.

    Y’a un plan ? Suivez les signes colorés 📘📗📒📕!

    J’organise le cours selon 4 voies parallèles ( 📘, 📗, 📒, 📕 ) qui, sur le terrain des exercices et des projets, finissent rapidement par se croiser et se joindre en direction de la finalité de ces études : la création d’un espace intérieur, d’un objet ou d’un mobilier, dans le respect d’un cahier des charges précis.

    Voici ces 4 thématiques :

    •  📘 les couleurs en elles-mêmes, les couleurs « peinture » et leurs mélanges, les accords, les contrastes, les interactions, les palettes,
    • 📗 la couleur dans un espace tridimensionnel: son instabilité et l’impact, aussi bien physiologique que psychologique, des couleurs/matériaux, et de la lumière, sur la perception d’un espace et sur le ressenti du visiteur, 
    • 📒 l’extension de la notion de couleur aux matériaux et à leurs qualités spécifiques (plastiques et non techniques), l’association des couleurs et des matériaux/textures,
    • 📕 la prise en compte de tous les « ingrédients » précédents au service du scénario qui déterminera le caractère d’un lieu.

    📘 Les couleurs en elles-mêmes

    Au début du cursus, après quelques informations théoriques (dont la projection du film le monde des couleurs), l’approche des premières notions générales sur les couleurs/peintures (nuances, mélanges, accords, contrastes…) se réalise lors d’exercices de base, des compositions abstraites en 2D. Ces acquis théoriques et la maîtrise du vocabulaire adéquat contribuera au professionnalisme du designer d’intérieurs.

    L’étudiant est amené à observer, manipuler, classer, mélanger et étaler de la peinture (gouache ou acrylique), reproduire des couleurs, couper, coller, assembler (avec un accessoire choisi), déplacer des aplats, composer, recadrer…

    À gauche, Johan Wauthier, recherche et reproduction des nuances présentes dans un échantillon de tissu, aplats à la gouache sur papier Canson. À droite, classements chromatiques; couleurs extraites de magazines collées selon une organisation précise : axe central correspondant aux couleurs saturées, d’un côté les couleurs rabattues au blanc ou au gris clair, de l’autre côté les couleurs rabattues au noir ou au gris foncé.
    À gauche: couleurs saturées d’un cercle chromatique de 12 tons classées sous forme de flipbook; aplats à la gouache sur papier Canson. Au centre, installation éphémère d’objets représentant la progression de 12 couleurs saturées. À droite, cercle chromatique en relief inspiré des horloges de Georges Nelson, aplats à la gouache pliés et collés, lignes tracées au feutre.

    📘 Les accords et les contrastes

    Pour introduire la théorie sur les accords et les contrastes, je me base essentiellement sur les livres « Art de la couleur» de Johannes Itten en version abrégée (voir un résumé de ces contrastes ici) et « La couleur et ses accords» de Robert Montchaud.

    Amandine Galienne donne également de bons conseils à ce sujet dans son petit dictionnaire « Les 100 mots de la couleur». Et il y a peu j’ai découvert le livre « Leçons de couleur pour la maison » de Didier-Michel; j’y trouve intéressante sa dénomination des principes d’harmonisation: similitude, imitation, compensation, complémentarité, accords francs ou secrets, assonance, consonance, dissonance. Ces grands principes, représentés sous forme de petits schémas, inspirent les combinaisons de couleurs proposées dans ce livre. Exploration à poursuivre !?

    📘 Compositions

    L’exercice de synthèse de cette 1ière étape consiste à réaliser, au moyen d’aplats, de petites compositions qui répondent à des consignes précises d’accord et de contraste. Et ce, en variant les nuances (couleurs pures ou rabattues), leur nombre, leur position (contact ou non), leur proportion (du très peu de cette couleur au vraiment beaucoup d’une autre), les recadrages (qui offrent un autre point de vue sur la composition initiale) . 

    En jouant avec ces paramètres, en les contrôlant, tous les accords de couleurs me semblent permis pour atteindre une association équilibrée, du moins si c’est l’harmonie que l’on veut obtenir; on peut également rechercher la dissonance ou utiliser celle-ci pour créer une tension. Tout n’est que question de scénario, d’atmosphère que l’on souhaite créer.

    Je souris encore de l’exclamation d’une étudiante cherchant avec ses 2 morceaux de papier en forme de L croisés, à recadrer au mieux sa composition pour accentuer le contraste de quantité : « Mais ça change tout ! ». En effet, la modification des quantités relatives des couleurs dans une composition, ça change tout. Comme l’écrit Johannes Itten dans l’Art de la Couleur, « Étudier et déterminer la grandeur des surfaces colorées dans une composition est au moins aussi important que de choisir les couleurs elles-mêmes ».

    Marie Micciche, Variation sur les accords et les contrastes. À gauche : composition non recadrée, à droite : composition recadrée.
    📘 Palettes

    Afin d’amener l’étudiant à concevoir ses espaces à aménager, comme des compositions tridimensionnelles dont les couleurs, les textures, les lumières se répondraient à l’image d’une œuvre picturale, j’aimerais davantage le sensibiliser à l’observation et à l’analyse de tableaux. Entre autres en m’inspirant du livre L’Art de la Couleur (édition complète) de Johannes Itten mais aussi en présentant davantage d’interventions contemporaines par 📗la couleur dans l’espace.

    Pour ma part, ma sensibilité aux couleurs et ma culture visuelle, je les ai développées très jeune grâce aux nombreuses visites de musées des Beaux-arts où m’emmenait mon père et à ses nombreux livres d’art que je feuilletais longuement, assise par terre entourée de ceux-ci.

    📗 La couleur dans l’espace

    Après les premiers exercices de base en 2D, les exercices suivants sont des compositions tridimensionnelles abstraites plus complexes, mais toujours sans finalité fonctionnelle.

    En plus des aspects déjà évoqués précédemment, ces exercices sont l’occasion d’aborder le problème complexe de la couleur dans un espace 3D. Et ce par la manipulation et l’observation, non seulement des interactions entre les couleurs avoisinantes, mais également des changements de perception de celles-ci suivant leur place dans l’espace et leur position par rapport à la lumière.

    Ainsi, l’étudiant découvre que des aplats d’une même couleur placés dans l’ombre, dans la pénombre ou en pleine lumière ne sont plus perçus comme une seule et même couleur. Cela semble évident, mais pas nécessairement pour l’étudiant qui débute. Pour cette prise de conscience, je trouve important de travailler en début de cursus des maquettes concrètes en matériaux réels, et non en images numériques.

    L’effet de la lumière

    L’étude des incidences de la lumière naturelle et des éclairages sur la perception des couleurs est un sujet difficile que je préfère réserver à d’autres professeurs spécialisés en éclairage, qui l’abordent en atelier et dans des cours théoriques d’une manière plus objective et plus technique.

    Je me contente de faire prendre conscience de ces phénomènes sensibles en attirant régulièrement l’attention de l’étudiant vers ce qui se passe autour de lui dans les lieux où il vit et où il travaille, les endroits qu’il traverse: la lumière naturelle, l’orientation du bâtiment, l’évolution de la lumière au fur et à mesure que passent les heures et les saisons, l’influence d’un mauvais éclairage artificiel sur les couleurs (en leur déconseillant, par exemple, de tenter de reproduire une couleur à la gouache en pleine nuit sous une ampoule jaunâtre).

    Didier-Michel résume ainsi cette complexité: « La couleur est expression du vivant, et par là-même elle n’est pas stable. C’est là toute la difficulté à la capter, à la travailler, à la mettre en œuvre, à faire des associations »

    📒 Les matériaux et leurs qualités

    Aux contrastes approchés dans les premiers exercices, ceux de quantité, de qualité, de clair/obscur, de complémentaires, chaud/froid, proposés et formalisés par Johannes Itten, s’ajoute le contraste de qualité des matériaux : mat/brillant, opaque/ translucide/transparent, plein/ajouré, lisse/texturé, neuf/ancien, patiné.

    Ce contraste est très utilisé dans les aménagements intérieurs, notamment par l’emploi de miroirs, de parois vitrées colorées, de cloisons ajourées (moucharabieh) qui, en créant de nouvelles interactions dans l’espace, entre les différents plans, entre l’extérieur et l’intérieur, exacerbent les jeux d’ombre et de lumière, enrichissent la palette par des reflets, des interférences, des superpositions, des touches, des éclats de lumière, etc.

    📗 Impact dans l’espace

    L’exercice permettant d’explorer ces aspects-là, exercice récent mis au point avec mon jeune collègue Maxence Mathieu, consiste à articuler 2 angles, l’un en carton recouvert d’aplats de couleur, lisses, texturés, l’autre en matériaux colorés, translucides, ajourés, etc. 

     Angles à plat (rabattus), vue d’ensemble (palettes de couleurs, nuances rabattues soit vers le clair, soit vers le sombre, inspirées de diverses peintures recherchées en bibliothèque)
    Marie Micciche, Angle.
    Ysaline Roba, Angle.
    Clara Fonsny, Angle
    Blerona Muji, Angle
    Emilie Thoen, Angle

    Pour guider l’étudiant dans ce travail de composition et l’obliger à se familiariser avec les notions d’accord et de contraste, nous donnons des consignes précises tout en lui laissant une grande liberté d’interprétation. 

    Vu la difficulté d’abstraction de cet exercice, cette année, nous l’avons rendu plus concret.  Au moyen de 2 angles, les étudiants devaient concevoir pour le patio des Musées Royaux des Beaux-Arts de Bruxelles, un espace de déambulation, d’approche, de découverte et de contemplation d’une œuvre picturale. Le scénario (dispositif, ambiance, choix des couleurs et des matériaux, assise devant le tableau…) devait s’inspirer de l’œuvre choisie.

    Delphine Cornette, 2021
    Céleste Carré, 2021

    Quant au 📘 contraste simultané, très particulier, j’en touche un mot lorsque j’évoque les couleurs complémentaires; j’aborde un peu plus le sujet en 2ième année lorsque j’approfondis la réflexion sur la couleur dans l’espace. 

    📕 Au service du scénario

    Dans la progression du cursus de l’option Création d’Intérieurs, mes collègues et moi venons rapidement à des exercices concrets, plus en lien avec la formation de designer d’intérieurs.

    C’est pourquoi se présente tôt dans le parcours de l’étudiant l’objectif de définir une identité bien particulière à un lieu, même abstrait, de créer un scénario cohérent pour la mise en valeur d’un objet ou de créer une ambiance adéquate au programme d’un projet d’aménagement. L’étudiant est alors amené à composer des « moodboards » comme outils de recherche ou d’expression de ses intentions. 

    Il s’agit de planches de présentation, dans lesquelles sont mis en relation couleurs, matériaux, objets, images d’inspiration, photos de références… Planches qui, pour être plus professionnelles, sont légendées avec les références précises des ingrédients du projet (entre autres, références des marques ou références NCS pour les couleurs).

    Associations de couleurs, de matériaux, d’images, d’objets (recherches photographiées en atelier) 

    📕 Projets fonctionnels

    Quelques projets fonctionnels, en guise d’exercices de synthèse, sont étudiés dans le cadre du cours de Couleur. Par exemple, en 1ère année, un stand d’exposition de tissus d’ameublement ou de papiers peints d’une marque précise, ou encore d’un styliste.

    Une des difficultés des étudiants est de ne pas perdre de vue l’objectif du projet : valoriser le « produit » et le style de la marque. Pour qu’ils maintiennent leur attention sur le point de mire, nous leur rappelons de ne pas oublier le « marshmallow ». C’est une allusion au défi auquel toute la classe a participé en début d’année, à savoir, construire en 18 minutes, avec des matériaux donnés, la tour la plus élevée possible, avec au sommet, un « marshmallow ». Combien de groupes n’ont-ils pas échoué parce qu’ils avaient omis en cours de travail de faire des essais en plaçant le marshmallow au sommet de la tour? 


    Jonasz Olivier, Stand de présentation d’un styliste
    Eden Delauw, Stand de présentation d’un styliste

    📕Aménagement d’un espace

    En 2ième année, le projet présenté ci-après consiste en l’aménagement d’un petit espace dédié à une fonction: la lecture de livres ou de magazines dont le style (magazines de mode, bandes dessinées, livres d’art ou essais philosophiques…) pouvait être à la source de leur inspiration afin de créer une ambiance cohérente et propice à cette activité. S’ajoutait comme contrainte celle du choix d’un tapis dont les étudiants s’inspiraient pour la palette des couleurs, les motifs, la sélection du mobilier.

    Quand vient le moment de l’évaluation du projet, pour me mettre à l’abri de jugements trop subjectifs sur le bon et le mauvais goût, je recours à des critères tels la cohérence, l’argumentation des choix, la référence à un objet, un style, une palette existante …mais aussi les initiatives personnelles, la prise de risques…

    Sophie Cupper, Aménagement d’un espace dédié à la lecture
    Lyson Vannieuwenhuyzen, Aménagement d’un espace dédié à la lecture

    📚Projet de synthèse

    Avant de terminer l’année par un petit projet de synthèse de ce genre, j’oriente le cours essentiellement vers une réflexion sur 📗 le(s) rôle(s) des couleurs/matériaux dans l’aménagement d’espaces et sur les incidences de ceux-ci sur notre perception et notre ressenti.

    📕L’intention

    Comment faire comprendre aux étudiants que le choix des couleurs, des matériaux et des éclairages, le choix de leur position, de leur forme, de leur correspondance, ou non, aux limites et à la géométrie de l’espace, doivent être fondés sur des intentions réfléchies répondant à des questions telles que: 

    • à quoi peuvent « servir » les couleurs et les matériaux dans l’espace que je crée, uniquement à « faire joli »?
    • que mettent-ils en valeur, que cachent-ils ?,
    • quelles valeurs, quels messages expriment-ils?
    • quelles émotions éveillent-ils ?
    • quel est l’impact des couleurs/matériaux sur notre ressenti, notre comportement dans cet espace ?

    📕 Prise de conscience

    La qualité du ressenti, le confort psychologique (très relatif) n’est-ce pas là la finalité essentielle d’un lieu vécu par des personnes, ou simplement traversé par elles? Dernièrement j’ai découvert le beau livre Making space de l’Atelier Modijefsky qui exprime avec beaucoup de poésie et de bienveillance cette attention à la personne. 

    Je tente d’éveiller cette prise de conscience, d’une part par des exercices 📗 d’analyse de photos d’intérieurs existants suivant une grille précise, d’autre part par des exercices d’intégration de couleurs/matériaux de diverses manières, et ce soit en 📗 maquette 3D, ou en 📗 images numériques.

    Documentation

    Pour la recherche de documents à analyser, j’invite les étudiants à privilégier, dans la mesure du possible, des photos trouvées en bibliothèque, dans des magazines d’actualité, dans de « bons livres », et donc pas uniquement sur le Web, afin éviter une trop grande uniformité.

    Dans cette même optique, pendant les cours je mets à la disposition des étudiants beaucoup de livres afin qu’ils découvrent d’autres espaces que celui de l’écran plat. Pour moi, 📗 le livre est un espace à part entière où dialoguent textes et images mis face à face, dos à dos, un espace à parcourir, à manipuler de multiples manières, un espace où le temps peut même sembler dissolu. Quel sentiment de satisfaction quand un étudiant me confie, sur un ton complice, qu’il a fait l’achat d’un livre.

    Pour l’un de ces exercices sur 📗 la couleur dans l’espace,  je tire également profit de mes 📗 recherches personnelles en tant que plasticienne. 

    📗Les boîtes: exercice de mise en espace

    Sans expliquer immédiatement aux étudiants l’objectif final, je leur demande d’appliquer une couleur, très librement, avec n’importe quel matériau, sur une feuille de papier, ensuite de découper cette feuille selon un développement imposé, développement qu’ils replieront de façon à créer une boîte dont l’intérieur s’apparente étrangement à un espace réel. Cette boîte, percée de « fenêtres », exposée de diverses manières à la lumière du jour ou artificielle, est photographiée. Le résultat est souvent « bluffant », c’est comme si on était dedans.

    Ces photos servent de supports à un exercice d’observation. Un même espace est transformé très différemment selon les interventions colorées (teinte, forme…), les éclairages (teinte, du jour ou artificielle, position de la source…), les points de vue …. Observations qui conduisent les étudiants à décrire, en plus de leur démarche, ce qu’ils pourraient ressentir en entrant, en parcourant un tel environnement. 

    Je prête une attention particulière à l’usage du vocabulaire adéquat, à la recherche des mots qui permettent d’exprimer un ressenti au-delà d’une première impression superficielle (c’est chouette, j’aime bien…). Cet exercice d’écriture est souvent un préalable à une présentation orale en classe.

    Développements de boites avant pliage, vue d’ensemble
    Juliette Vermeersch, Intérieur de boîte
    Justyna Krasowska, Intérieur de boite.
    Laly Deprez, Intérieur de boîte
    Soares Eduardo, Intérieur de boîte
    Charlotte Simonet, Intérieur de boîte
    Juliette Vermeersch, Intérieur de boîte
    Laly Deprez, Intérieur de boîte
    Maude Moreau, Intérieur de boîte

    Cette expérience de couleurs posées librement sur les parois intérieures d’un volume, est une opportunité pour présenter des plasticiens contemporains qui proposent 📗 des intégrations moins conventionnelles de la couleur dans l’espace, par exemple des intégrations qui ne respectent pas les limites entre les surfaces ou qui ne respectent pas la géométrie de celui-ci. Je pense, entre autres, au travail de Jean Glibert, de Pieter Vermeersch, de Cécile Bart. Opportunité également de résoudre ces exercices avec des outils numériques cette fois.

    Charlotte Simonet, d’après la consigne: donner l’impression que l’espace est plus écrasé (plus large, moins haut) en respectant la géométrie de l’espace mais pas les limites entre les surfaces.
    Marie Detinne, d’après la consigne: donner l’impression que l’espace est plus étroit (plus long) en ne respectant ni la géométrie de l’espace ni les limites entre les surfaces.
    Elia Larred, d’après la consigne: créer une contradiction entre la droite et la gauche de l’espace en respectant la géométrie de l’espace et les limites entre les surfaces.
    Maureen Durin, d’après une consigne: donner l’impression que l’espace est plus bas de hauteur en ne respectant ni la géométrie, ni les limites entre les surfaces.
    Audrey Detré, d’après une consigne: attirer l’attention vers un endroit de l’espace, en ne respectant ni la géométrie, ni les limites entre les surfaces.

    On y va comment ? A pinceau ou en souris ?

    Depuis bientôt 3 ans je mets au point de nouveaux supports de cours sous forme de PowerPoint. Ceux-ci ne sont pas achevés, le travail est en cours mais je les partage déjà avec les étudiants. 

    L’un est une introduction à la perception des couleurs, au vocabulaire spécifique à ce domaine, aux mélanges, un 2ième est consacré aux accords et aux contrastes,  un 3ième aborde la couleur dans l’espace par le biais de questions et d’exemples, d’autres encore développent les thèmes de la symbolique, de la classification des couleurs. 

    C’est surtout le support au sujet de la couleur dans l’espace qui me questionne le plus, me demande beaucoup de recherches et de mises au point. Heureusement, il me semble qu’il y a une littérature de plus en plus abondante et pertinente à ce sujet (cf. références de livres en fin d’article).

    Outils

    Bien que les outils matériels traditionnels (mélange de peintures, aplats de couleurs, maquette, planche de matériaux…) soient beaucoup utilisés en début de cursus pour que l’étudiant soit confronté à la matière, à des problèmes concrets, pour qu’il visualise au mieux l’espace, pour qu’il prenne conscience de l’impact bien réel de la lumière sur la perception des couleurs, nous utilisons de plus en plus les outils informatiques (Photoshop, Illustrator, Sketchup…). Ces outils, étudiés dans le cadre du cours d’Infographie de Paul Roger avec lequel j’espère collaborer de plus en plus, sont fort précieux aux étudiants pour présenter leurs projets, communiquer leurs intentions.

    Pour le cours de Couleur, les étudiants de 2ième année travaillent essentiellement avec ces outils informatiques mais un retour ponctuel à la matière-peinture et au carton, une exploration d’outils autres comme la photographie, de nouvelles manipulations spatiales, semblent être fort appréciés.

    En résumé

    Pour conclure cette visite guidée au sein de mon enseignement, voici les apprentissages que nos étudiants devraient acquérir au terme des 2 années de bachelier dans l’option Création d’intérieurs de l’Ecole Supérieure des Arts (ESA) Saint-Luc de Bruxelles.

    Sans jamais perdre de vue le contexte et le programme de l’exercice ou du projet, en se basant sur les connaissances acquises, tant théoriques que pratiques, mais aussi en faisant confiance en leur intuition et en leur talent (ça c’est moi qui ajoute, ça ne se trouve pas dans le document officiel), les étudiants seront capables de :

    • collecter et choisir des informations, des références, des images, des « objets » (matériaux, échantillons, mobilier, etc.),
    • les observer et les analyser afin d’en cerner les caractéristiques,
    • explorer des solutions créatives, 
    • dans la recherche d’associations de couleurs, de matériaux, de formes, de lumières…,
    • dans les choix de leurs positions et de leurs relations dans l’espace, 
    • communiquer et argumenter leurs intentions (scénario) au moyen des techniques appropriées.

    Plus vert ailleurs ?

    Des livres et des sites

    En plus des livres et des sites mentionnés dans le texte, voici une liste de mes recommandations.

    Généralités sur la couleur

    Pour la facilité de recherche grâce au classement par mots et les avis d’une coloriste qui pratique la couleur:

    (1) Amandine Gallienne, Les 100 mots de La Couleur, Presses universitaires de France, collection Que sais-je?, Paris, 2017.

    Symbolique

    Pour son approche non réductive de la complexité de la symbolique de la couleur:

    (2) Eva Heller, Psychologie de la couleur, PYRAMID Editions, Paris, 2009.

    Pour l’approche ciblée de la symbolique de la couleur dans l’architecture et dans l’aménagement intérieur en parcourant l’histoire de l’art jusqu’au début du 21ème siècle:

    (3) Larissa Noury, Symbolique des couleurs-Art, design, architecture-, Les éditions du Palais, Paris, 2020.

    Pour l’approche multiple (art, stylisme, architecture, design, aménagement d’intérieurs…) de la symbolique de la couleur et l’actualité de certains exemples:

    (4) Laura Perryman, COULEURS histoire, usages, secrets, PYRAMID Editions, Paris, 2021.

    La couleur dans l’espace

    Parce que le sujet est rarement abordé, il l’est ici avec des exemples bien sélectionnés :

    (5) Kerstin Schultz, Hedwig Wiedemann-Tokarz, Eva Maria Herrmann, Birkhaäuser, Thinking Color in Space, Positions, Projects, Potentials, Bâle, 2019

    Pour l’audace des interventions colorées dans la décoration intérieure :

    (6) Iris De Feijter et Irene Schampaert, Who’s Afraid Of Pink, Orange & Green? Colorfull Living and Interiors, éditions Lannoo, Tielt, Belgium, 2018.

    (7) Iris De Feijter et Irene Schampaert,The Complete Book of Colourful Interiors, Tips, tricks and inspiration, éditions Lannoo, Belgium, 2021.

    Des plasticiens dont les interventions spatiales sont particulièrement intéressantes :

    (8) Raymond Balau, Jean Glibert, Cellule Architecture Fédération Wallonie-Bruxelles, Collection Fenêtre sur, Bruxelles, 2017 ( Jean Glibert).

    (9) Kersten Geers, Moritz Küng, François Piron, Dieter Roelstraete, Pieter Vermeersch Variations (catalogue expo au M-Museum de Leuven en 2019), Ludion Publishers, Bruxelles, 2019 (Pieter Vermeersch).

    (10) Divers auteurs, Cécile Bart Plein Jour, Les Presses du Réel, Dijon, 2008 (Cécile Bart).

    (11) Studio Olafur Eliasson

    Design

    Pour la qualité et la sensibilité du travail de Hella Jongerius, designer et directrice artistique chez Vitra :

    (12) Hella Jongerius, I don’t have a favourite colour, creating the Vitra colour & material library, gestalten, Berlin, 2016.

    Pour la qualité des exemples choisis:

    (13) David Harrison (Auteur), Jean-François Cornu, Hella Jongerius (Préface), Un siècle de design en couleurs, Editions de La Martinière, Paris, 2021.

    Un incontournable de l’architecture du 20ème siècle,

    (13) Le Corbusier: Couleurs de Le Corbusier – Les Claviers de Couleurs de Le Corbusier (lescouleurs.ch)

    Pour la beauté du livre et pour l’élargissement de la notion de couleur à celle de matériau, de matière, de texture, de lumière :

    (14) John Pawson, Spectrum, Phaidon, New York, 2017.

    (15) John Pawson, Mimimum, Phaidon, New York, 1996.

    Partager l'article

    3 commentaires sur “Nathalie Balthazar: J’enseigne la couleur”

    1. Le profane que je suis n’entre pas dans les subtilités techniques de l’article, mais est captivé par la beauté des images.
      Les intérieurs de boites sont particulièrement inspirants: l’apport de la couleur donne à un même volume simple des dimensions et des effets émotionnels incroyablement divers.
      Merci d’ainsi émerveiller le regard.

      1. Merci André, en effet, les boîtes sont des œuvres en elles-mêmes et cet exercice conçu par Nathalie Balthazar me semble extrêmement puissant pour développer un sens de la couleur dans l’espace et analyser les émotions qu’elles suscitent.

    2. Retour de ping : Nathalie Balthazar: I teach color - COLOR TIME

    Laisser un commentaire

    Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *