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Marc Crunelle: Enseigner la couleur aux architectes

    Enfin, nous entamons cette série dédiée à l’enseignement de la couleur!

    Mais attention, dans le monde de la couleur, des termes peuvent avoir des emplois et significations différentes. Le petit livre « La couleur de Royal Talens » nous avait avertis. Si la plupart des auteurs définissent les termes qu’ils utilisent, vous devrez cependant faire une gymnastique mentale pour adopter leur point de vue, le temps de la lecture.

    La version finale de ces articles est le résultat d’échanges avec les auteurs – du moins, quand ils sont disposés à cet exercice à quatre mains – mais ne reflète pas mon approche; celle-ci sera présentée au terme de la série.

    Pour inaugurer cette collection d’articles, je cède le clavier à Marc Crunelle.

    Marc Crunelle (né en 1949) est architecte, sculpteur et docteur en psychologie de l’espace.

    Si l’amie d’Amélie Poulain photographie un nain de jardin devant des bâtiments remarquables, Marc Crunelle quant à lui dépose un carré de tissu jaune – telle une offrande éphémère – aux pieds des constructions illustres et photographie l’ensemble. Ce rituel témoigne de son goût pour les voyages, l’architecture, la perception de l’espace, et bien sûr, la couleur.

    Photographies au quatre coins du monde

    Il nous livre ici l’introduction du cours qu’il a donné à la Faculté d’Architecture Horta-La Cambre à Bruxelles. L’intitulé du cours? Perceptions visuelles et non visuelles de l’espace architectural.

    Après ces étudiants architectes, mais aussi les ensembliers décorateurs de l’Académie Royale des Beaux-Arts de Bruxelles, les étudiants de design de l’Université de Nîmes, ceux de l’École des Mines de Saint-Étienne, et même les membres du « Communication Team » de Belgacom, à vous de bénéficier de cet enseignement. Ou du moins, d’un survol!

    L’objectif du cours

    Le cours avait pour objectif de présenter certains aspects du monde de la couleur du point de vue de la perception humaine. L’approche est donc différente de l’étude des théories physiques, des classifications normatives, des formes de calibrage, de la colorimétrie, etc. En d’autres termes, le cours aborde le monde phénoménal tel qu’il apparaît à notre œil et que nous pouvons vérifier facilement par nous-même.

    Il traite donc exclusivement l’univers coloré de notre environnement coutumier, explore des pratiques quotidiennes et des applications dont nous voyons les résultats tous les jours, que ce soit en publicité, dans la mode, etc.

    Ce cours comportait 2 parties; une première en chaire (décrite ci-dessous) et un exercice: illustrer sur des carrés de 10 cm sur 10 chacun des 7 contrastes de couleurs selon Itten en les composant par collage et/ou en trouvant de beaux exemples dans des magazines. Ce cours avait pour sous-titre : la théorie des contrastes colorés – Itten et après.

    Introduction

    Les couleurs sont trompeuses, aussi trois personnes nous guideront dans ce monde plein de surprises: un chimiste, Chevreul, et deux peintres, Johannes Itten et Josef Albers.

    Avant de les suivre, voici quelques questions et définitions.

    Selon vous, qu’est-ce qui est exact dans les affirmations suivantes?

    • la rose est rouge,
    • pour un daltonien la rose est mauve,
    • dans une lumière bleue la rose est noire.

    Réponse: les trois sont exactes. 

    En effet, ce qu’on appelle couleur est  l’interaction entre 3 facteurs: une surface colorée, un œil humain et une lumière blanche. Aussi, pour être plus précis, il faudrait dire:

    • dans une lumière blanche une rose paraît rouge à un œil normal, 
    • pour un daltonien, dans une lumière blanche, une rose paraît mauve, 
    • dans une lumière bleue, une rose paraît noire à un oeil normal. 

    On peut aussi dire que les couleurs sont notre interprétation des différentes longueurs d’ondes lumineuses, ou encore, la couleur est la manière dont nos yeux interprètent l’énergie des ondes lumineuses.

    Quels sont les moyens de produire des couleurs ?

    • par la matière: les pigments (de la gouache rouge par exemple)
    • par la lumière (ex. les feux de signalisation)

    Quelques définitions

    Dans ce cours, on considère ces six couleurs comme fondamentales: bleu, rouge, jaune, vert, blanc et noir. Par ailleurs, on nomme « ton » une nuance spécifique comme par exemple pêche, saumon, lilas.

    Pour caractériser l’apparence d’une couleur trois facteurs ont été proposés par le peintre américain Munsell au début du XXè siècle:

    • la tonalité ou teinte concerne ce que l’on nomme couramment « la couleur » (hue en anglais)
    • la saturation ou chromaticité concerne le degré de coloration et mesure la proportion de couleur « pure » par rapport au blanc (chroma en anglais)
    • la clarté ou valeur ou luminosité concerne la quantité de lumière transmise par la surface et s’exprime par des adjectifs tels que « clair » ou « foncé » (value en anglais).

    A 84 ans, à force de travailler la couleur, Matisse déclare « Tout est dans la valeur, n’est-ce pas ? Pour une valeur à droite qui n’était pas en place, tout foutait le camp dans mon tableau. Ça n’a l’air de rien, une valeur… On a mis des années à s’apercevoir d’une pareille vérité. Et cependant elle crève les yeux (j’ajoute : à celui qui sait) « .

    La valeur d’une couleur est une notion difficile à acquérir; c’est sa clarté, indépendamment de sa tonalité et de sa saturation; elle joue un grand rôle dans l’équilibre d’un tableau ; c’est ce que le peintre contrôle lorsqu’il cligne des yeux pour sonder son œuvre.

    Comment se débrouiller dans le monde de la couleur (matière)?

    Ce sont les peintres et les teinturiers qui ont principalement investigué ce domaine et qui ont eu le souci de faire que la couleur qu’ils utilisaient ou fabriquaient soit la plus belle, la plus présente possible. Suivons-les!

    Premier guide: Chevreul

    Chimiste français, responsable à la manufacture royale des Gobelins, Chevreul devait solutionner un problème: certains noirs « ne donnaient pas bien ». Après recherches, il a conclu que la cause n’était pas physique ou chimique, mais bien optique: ce ne sont pas les pigments qui sont en cause, mais les tons colorés qui se trouvent à proximité. 

    De plus, il désirait rationaliser le trop grand nombre de teintes utilisées dans les tapisseries. Pour certains tons, la distinction était assez difficile, voire impossible. Or, il avait remarqué que les ouvriers utilisaient une méthode à eux: pour distinguer deux tons très proches, ils les mettaient « en confrontation » avec un autre.

    C’est au départ de ces observations qu’il a écrit sa théorie d’interaction des couleurs ayant pour titre: « De la loi du contraste simultané des couleurs et de l’assortiment des objets colorés« . Un scan de l’original est disponible ici. Il y montre qu’une couleur donne à une couleur avoisinante une nuance complémentaire dans le ton : les complémentaires s’éclairent mutuellement et les couleurs non-complémentaires paraissent « salies », comme lorsqu’un jaune placé près d’un vert prend une nuance violette (source: Wikipedia).

    En bref: un ton n’existe jamais par lui-même, il est toujours dans un contexte et ce dernier l’influence.

    Deuxième guide: Josef Albers

    Tout au long de son enseignement et de sa pratique picturale, Albers a montré, dans la continuité des recherches de Chevreul, combien la couleur peut être trompeuse. Regardez les carrés jaunes ci-dessous. Sur des fonds différents, ils nous apparaissent tous légèrement différents alors qu’ils sont semblables, ce qui prouve que le « fond » a une influence sur cette surface. 

    6 carrés jaunes sur des fonds différents nous apparaissent tous légèrement différents
    Les mêmes 6 carrés sur un fond uni noir.

    Une couleur n’est jamais seule, elle est donc influencée par son contexte, et ce dernier modifie son apparence à nos yeux.

    Albers a aussi montré dans de très nombreuses toiles à la composition et aux motifs de 4 carrés imbriqués, que, selon la distance au tableau, des aplats apparaissent comme des dégradés, que certains tons « avancent » et que d’autres reculent, etc.

    Son propos est, comme il dit: « d’apprendre à voir« .

    Josef Albers, deux « hommages au carré » (source: Wikiart)

    Troisième guide: Johaness Itten

    C’est chez ce peintre que nous trouverons des arguments explicites sur la couleur et ses multiples « comportements », en nous basant sur le cours qu’il a donné au Bauhaus (Itten, « Art de la couleur »).

    Sa théorie sur les contrastes colorés s’appuie sur une longue tradition de la pratique de la couleur, non seulement chez lui mais chez les peintres de toutes les époques.

    Comme il l’explique, sa « théorie est née de l’expérience et de l’intuition du peintre. Pour l’artiste, l’effet des couleurs est décisif, et non pas la réalité des couleurs, telles qu’elles sont étudiées par les physiciens et les chimistes. L’effet des couleurs est contrôlé par l’intuition. » (p. 11)

    Même s’il considère que l’intuition dans le choix des couleurs reste prioritaire, quelques principes sont utiles dans la pratique. « Des études approfondies chez les grands maîtres de la couleur m’ont donné la ferme conviction que ceux-ci possédaient tous une science des couleurs. Pourquoi nommerait-on secrets les principes que tous les artistes doivent connaître et qui auraient dû leur être enseignés à tous ? » se demande-t-il (p. 12). Pour l’expliquer, il cite Charles Blanc « les éléments de l’enseignement des couleurs n’ont été ni analysés ni enseignés dans nos ateliers d’art, parce qu’on tient pour inutile en France d’étudier les lois de la couleur, selon le proverbe: on peut devenir dessinateur, on naît coloriste. » (p. 12)

    Le cercle chromatique d’Itten

    Le cercle chromatique d’Itten est divisée en 12 parties organisées autour d’un triangle constitué de trois couleurs qu’Itten définit comme les trois couleurs primaires pures; ensuite des triangles de couleurs dites secondaires, chacune mélange de deux primaires; enfin sur la couronne extérieure, entre les sommets de l’hexagone, on trouve les tertiaires, mélanges d’une couleur primaire et d’une secondaire. Sur cette couronne, deux couleurs qui sont diamétralement opposées sont dites complémentaires.

    Ce cercle auquel s’ajoute le noir et le blanc est à la base des contrastes considérés par Itten.

    Cercle chromatique d’Itten (source Wiki commons) (« Art de la couleur » p.35).

    Théorie des contrastes colorés:

    Le monde qui nous entoure présente une multitude de couleurs juxtaposées. L’œil est attiré par certaines rencontres colorées, par des assemblages heureux de tons que nous appelons accords, tout comme par des contrastes violents. De toutes ces rencontres, de tous ces contrastes, certains ont semblé plus pertinents que d’autres. Les peintres, soucieux que la couleur qu’ils utilisent rende bien leurs intentions, ont toujours privilégié certaines de ces rencontres pertinentes qu’ils nommaient contrastes.

    Certains ont proposé 10 contrastes pertinents, Johannes Itten en a proposé 7: ce sont sur eux que nous allons baser notre exposé; pour ensuite montrer en quoi il faut dépasser cette conception.

    Dans son ouvrage, « Art de la couleur », Johannes Itten en a précisé 7 contrastes qu’il a définit ainsi: « Quand, entre deux effets de couleurs à comparer, on peut établir des différences ou des intervalles sensibles. Quand  ces différences atteignent un maximum, on parle de contrastes d’opposition ou polaires. Ainsi, les termes grand-petit, noir-blanc, chaud-froid à leur point le plus élevé sont des contrastes polaires. Les organes de nos sens ne peuvent percevoir que par l’intermédiaire de comparaisons.

    Quand nous recherchons des modes d’action caractéristiques des couleurs, nous pouvons établir sept effets de contrastes différents.« (p. 36)

    1. Le contraste de la couleur en soi 

    « Le jaune, le rouge, le bleu expriment le plus fortement le contraste de la couleur en soi. Pour le représenter, il faut au moins trois couleurs clairement différentes les unes des autres. L’effet est toujours bariolé, criard, puissant et net. La force de l’effet de contraste de la couleur en soi diminue à mesure que les couleurs employées s’écartent des trois couleurs primaires. « (p. 36).

    Contraste de la couleur en soi: à gauche casiers en plastique, à droite feux arrière de voiture.

    Si cette rencontre se présente quelques fois fortuitement, comme dans le cas des casiers en plastique ou des feux arrières de la voiture ci-dessus, on a vite remarqué sa faculté d’attirer l’œil. Aussi s’en sert-on dans le design de panneau informatif, ou d’avertissement, comme ci-dessous. D’ailleurs, c’est un contraste que la publicité utilise largement.

    Contraste de la couleur en soi: avertissement et panneaux informatifs
    Contraste de la couleur en soi exploité par la publicité

    De plus, Itten fait remarquer que plus on s’éloigne des couleurs primaires pures, moins l’effet est pertinent. Regardez les trois images ci-dessous pour le constater par vous-mêmes.

    Le contraste de la couleur en soi est moins puissant quand on s’éloigne des couleurs primaires pures
    2. Le contraste clair-obscur

    « La lumière et les ténèbres, le clair et l’obscur, sont pour la vie humaine et toute la nature, d’une grande et fondamentale importance. Noir, blanc et tous les gris. L’un accentue l’autre. Par exemple, le clocher d’ardoises bleues foncées apparaît plus noir qu’il n’est dans le ciel clair.« 

    Contraste clair-obscur: des couleurs claires sur un fond foncé se détachent toujours franchement. En bas, à droite: le photographe devant présenter une veste jaune, a choisi un fond foncé.
    3. Le contraste chaud-froid

    « Bleu-vert opposé à rouge-orangé, pôles froids et chauds. Une couleur peut être tantôt chaude, tantôt froide selon son contraste avec des tons plus chauds ou plus froids. » (p.64) Ainsi Itten définit-il les pôles chaud et froid.

    Certaines situations peuvent présenter plusieurs contrastes simultanément.

    Contraste chaud-froid; à droite: fresque de Somville à la station de métro bruxelloise Hankar.
    4. Le contraste de complémentaires

    « Deux couleurs pigmentaires qui mélangées, donnent un gris-noir, nous les désignons par complémentaires. Elles sont opposées, elles s’exigent réciproquement, elles se renforcent jusqu’à la luminosité la plus grande l’une à côté de l’autre. Jaune-violet, orange-bleu et rouge-vert sont des exemples de couples de couleurs complémentaires. » (p.78)

    De plus, ces couleurs sont à leur plus grande intensité lorsqu’elles rencontrent leur exacte opposée (jaune-violet, bleu-orange, vert-rouge), comme le montrent les photographies ci-dessous.

    Contraste des complémentaires. À gauche: pour rappel, le cercle chromatique selon Itten: les 3 couleurs primaires au centre, ensuite le mélange de 2 couleurs primaires : jaune et bleu donne le vert, jaune et rouge l’orangé et bleu rouge, le violet. Au milieu et à droite: deux exemples de contraste jaune violet.
    Contraste complémentaire orange-bleu, beaucoup plus courant.

    On sent bien qu’il y a de meilleures « combinaisons », de plus grandes oppositions que d’autres; c’est d’ailleurs une des préoccupations des peintres : « un mariage de deux complémentaires, leur mélange et leurs oppositions, les vibrations mystérieuses des tons rapprochés. » écrit Van Gogh qui les a largement utilisées.  (Van Gogh, « lettres à son frère Théo », lettre n°531, éd. Gallimard).                               

    C’est aussi pour l’efficacité de ce contraste que les gilets de sauvetage sont oranges: ils se repèrent plus facilement en mer.

    Quant au contraste de complémentaires vert-rouge, lorsque les complémentaires sont à l’exact opposé, il y a une vibration à la frange des deux (voir ci-dessous).

    Contraste complémentaire vert-rouge produisant une vibration à la limite des deux couleurs.

    Tenir compte d’un élément donné (le gazon vert ou la brique rouge ) et leur trouver une complémentaire permet de les mettre réciproquement en valeur.

    Contraste complémentaire vert-rouge; à gauche, un parc à Lille; à droite, l’ambassade belge à New Delhi ( Satish Gujral  architecte)
    5. Le contraste simultané

    « Par contraste simultané, nous désignons le phénomène qui fait que notre œil, pour une couleur donnée, exige en même temps, donc simultanément, la couleur complémentaire, et qu’il engendre lui-même si elle n’est pas donnée. […] La couleur complémentaire est engendrée simultanément dans l’œil du spectateur sous forme d’impression colorée et elle n’existe pas réellement. Elle ne peut se photographier. » (p.87)

    Contraste simultané

    Une couleur « demande » sa complémentaire; les gris dans les deux paires ci-dessus, bien qu’identiques, se teintent légèrement de la couleur complémentaire de celle en arrière-plan. Ce phénomène subtil se présente également sur la photo ci-dessus: les lettres grises apparaissent légèrement verdâtres. On observe plus facilement ce phénomène sur un fond dégradé.

    L’expérience suivante permet de s’en rendre compte autrement: fixez le point rouge ci-dessous une trentaine de secondes, ensuite regardez la surface blanche à sa droite; on aperçoit un court instant l’image fantôme de ce point en cyan. Ce contraste est aussi appelé contraste successif. Notez que dans cette expérience visuelle, l’image rémanente n’est pas exactement verte, mais d’un bleu tirant vers le vert, la définition même du cyan.

    Contraste successif: fixez le point rouge de l’image gauche pendant 30 secondes puis déplacez votre regard à droite, sur la croix.

    On trouve une application intéressante de ce contraste dans les salles d’opération. Avant, les chirurgiens se penchaient sur une blessure rouge au milieu d’un drap blanc violemment éclairé; en levant les yeux pour demander un ustensile à un ou une assistante, apparaissait en vert, sur leurs vêtements blancs, l’image fantôme de la blessure. Afin d’éviter cette apparition dérangeante, les habits des chirurgiens sont dorénavant verts ou bleu-vert. De plus, la couleur rouge (de la plaie) étant la complémentaire du vert, elle se distingue mieux, ce qui facilite leur travail.

    6. Le contraste de qualité

    « Nous entendons la notion de qualité de la couleur, le degré de pureté ou de saturation des couleurs. Nous désignons par contraste de qualité l’opposition de couleurs saturées, lumineuses et de couleurs éteintes, ternes. Les couleurs du prisme, qui naissent de la réfraction de la lumière blanche, sont des couleurs de la plus grande saturation ou de la plus grande luminosité.« 

    C’est dans l’art de les confronter que se trouve toute la richesse de ce contraste. Ci-dessous, les bandes d’aplats rouges deviennent des dégradés. Dans le tableau de Raphaël « le Pape Léon X avec deux cardinaux », on trouve des roses, des vermillons, des bruns, des bordeaux, un ensemble de rouges et pourtant, l’ensemble n’est pas brouillon, toute la visibilité est gardée, tout comme dans les illustrations qui suivent. 

    Contraste de qualité

    On peut jouer sur les nuances d’une même gamme de tons sans perdre de caractère.

    Contraste de qualité dans les violet-bleu: en haut, à gauche, veste en jeans en sandwich entre deux violets; en haut à droite: une nappe bleue foncée s’harmonise parfaitement avec des chaises bleues et un sol gris. En bas, à gauche, les différents bleus restent autonomes; à droite les murs, les soubassements, la porte centrale et le ciel sont dans une gamme de bleus tandis qu’une couleur chaude (et complémentaire) indique les portes d’accès.
    Contraste de qualité et architecture: à gauche, une porte jaune orangé sur fond ocre; à droite: quelle couleur choisir dans un environnement donné par un mur rouge situé à gauche, des châssis et une toiture noires, et des tentes bannes blanches? L’architecte a sélectionné un jaune de Naples pour toutes les maçonneries.
    Contraste de qualité et lisibilité: on peut, avec un ensemble de nuances de verts rehaussés d’un peu de jaune, avoir des 
    compositions ayant du caractère et de la visibilité
    .
    7. Le contraste de quantité

    « Il concerne les rapports de grandeurs de deux ou plusieurs taches de couleur. C’est donc l’opposition « beaucoup-peu » ou « grand-petit ». Les couleurs peuvent se composer les unes avec les autres par taches de grandeurs variables à volonté. Mais il faut se demander quel est le rapport de grandeur entre deux ou plusieurs couleurs dont nous pouvons dire qu’il est équilibré, et qu’aucune des couleurs employées n’y a plus d’importance que l’autre. Deux facteurs déterminent la force de l’effet d’une couleur: la luminosité et la grandeur de la tache.

    Pour pouvoir apprécier la force de rayonnement ou luminosité, ce qu’on appelle la valeur lumineuse d’une couleur, il faut comparer les couleurs pures sur un fond gris neutre d’une clarté moyenne. On établira que les intensités d’effets ou valeurs lumineuses des diverses couleurs sont différentes. Goethe avait indiqué pour ces valeurs lumineuses les rapports numériques les plus simples et pour nous les plus utilisables. Ces chiffres sont des valeurs approchées.

    Les valeurs de lumière de Goethe sont les suivantes: jaune: 9 / orangé: 8 / rouge: 6 / violet: 3 / bleu: 4 / vert: 6,

    Les valeurs des couples complémentaires sont:

    • jaune-violet: 9-3 ou 3-1 ou 3/4-1/4 ;
    • orangé-bleu: 8-4 ou 2-1 ou 2/3-1/3
    • rouge-vert: 6-6 ou 1-1 ou 1/2-1/2

    Si l’on transforme ces valeurs de lumière en grandeurs de taches lumineuses, il faut employer réciproquement les chiffres de valeur de lumière. Le jaune de force trois doit donc occuper une surface trois fois plus petite que le violet complémentaire. » (p.104)

    Contraste de quantité; à gauche: mise en proportions des couleurs selon les valeurs énoncées ci-dessus; à droite: composition murale de Miro à l’aéroport de Barcelone; elle respecte les proportions équilibrées proposées par Goethe: 3 fois plus de surfaces bleues pour une de jaune, et des surfaces d’ampleurs égales pour les verts et rouges.

    Les contrastes colorés, après Itten

    Rappelons que Johannes Itten est un artiste de la moitié du XXè siècle. 

    D’une part, sa théorie des contrastes est une proposition de peintre; d’autres peintres ont formulé des propositions différentes. Ainsi, on peut en énoncer d’autres, tel le contraste de couleur-non couleur, le contraste bleu-rouge, la prise en compte des dorés et argentés, etc.

    Et d’autre part, l’industrie a mis au point des couleurs qui n’existaient pas du temps d’Itten, comme les peintures fluorescentes.

    Des effets tout aussi pertinents que ceux présentés ci-dessus existent et se présentent quotidiennement.

    1. Le contraste couleur-non couleur

    Une couleur associée à un gris peut avoir un certain caractère, voire être plus vibrante.

    Contraste de couleur-non couleur
    2. L’utilisation des dorés et argentés

    Ce contraste d’une couleur traditionnelle juxtaposée à de l’or ou de l’argent a été largement utilisé dans les icônes byzantines, peintures moyenâgeuses et dans les enluminures; dans ces oeuvres, l’or symbolisait la lumière. Gustav Klimt l’a également brillamment utilisé dans son travail.

    Contraste faisant usage de doré
    3. Le contraste bleu-rouge

    L’opposition de ces deux couleurs crée parfois une vibration que l’on retrouve dans les vitraux de Chartres, et qui continue à nous fasciner.

    Contraste bleu rouge; en haut: exemples dans la communication; en bas: vitraux de la cathédrale de Chartres (source wiki commons)
    4. Les couleurs fluorescentes

    Inventés après Itten, les pigments fluorescents sont très largement utilisés de nos jours (la marque Day-Glo les commercialise dès 1950). Ils colorent les balles de tennis, mais aussi les vêtements nécessitant une importante visibilité.

    Au quotidien, on remarque qu’ils sont largement utilisés pour leur vif attrait.

    Contraste fluo
    5. Le contraste jaune-noir

    On a remarqué que la plus grande disparité entre 2 couleurs était entre le jaune et noir. Cette caractéristique est mise à profit dans la signalétique des aéroports, notamment à Zaventem.

    Contraste jaune-noir exploité dans la signalétique à l’aéroport de Zaventem

    Merci aux guides!

    On voit ainsi que la couleur peut avoir un puissant impact dans de très nombreuses situations, et, mise dans de bonnes conditions, elle est valorisée à sa plus grande intensité.

    Avec ces quelques guides, vous pouvez gagner beaucoup de temps dans votre travail mais aussi saisir de manière bien plus compète le travail de tant de peintres, et ce, toutes époques confondues.

    Les couleurs lumières

    Jusqu’ici, nous avons considéré la synthèse soustractive; elle est appelée soustractive parce qu’on part du blanc en enlevant successivement les rayonnements émis perceptibles à l’œil, par le biais de couleurs posées sur des surfaces; si l’on retire tous les rayons, on obtient du noir. La synthèse soustractive opère dans notre quotidien, au niveau des « couleurs-matière » que nous manipulons ou observons tous les jours, comme les illustrations présentées ci-dessus l’ont montré.

    La synthèse additive (où l’on ajoute successivement les lumières, par exemple bleue, rouge et verte pour arriver à la production du blanc) est celle des lumières, celles émises notamment par les écrans de télévision et d’ordinateurs. 

    Concluons cet article par deux applications pertinentes de lumières colorées. 

    Les bouchers utilisent des TL à lumière chaude pour éclairer la viande et la faire paraître plus saignante. À l’opposé, les boucheries halal utilisent des éclairages froids pour présenter une viande moins rouge.

    On découvre quelques fois de l’éclairage bleu dans les toilettes de gares routières, de chemins de fer, ou encore dans les dancings. La raison en est que les veines n’apparaissent pas bien dans la lumière bleue, avec pour conséquence, que les junckies ne vont pas se piquer dans ces lieux.  

    Laissons le dernier mot à un autre peintre: Kandinsky: « l’oeil sent la couleur. Il éprouve ses propriétés, il est charmé par sa beauté. La joie pénètre l’âme du spectateur qui la déguste comme un gourmet une friandise. » (« Du spirituel dans l’art », 1912 , Denoël-Gonthier, collection Médiations, 1969-1976, p. 83)

    Pour aller plus loin

    Voici quelques lectures que je recommande:

    Sean Adams,  « Le dictionnaire de la couleur. A l’usage de tous ceux qui veulent utiliser la couleur », Pyramid,  2017.

    Josef Albers, « L’interaction des couleurs », Hazan, Paris, 2013.

    Jacques Aumont, « Introduction à la couleur: des discours aux images », Armand Colin, Paris, 1994.

    Manilio Brusatin, « Histoire des couleurs », Flammarion, Paris, 1986.1986

    Furetière, « les couleurs », Zulma

    Johannes Itten, « Art de la couleur », Dessain et Tolra, Paris, 1985.

    Libero Zuppiiroli, Marie-Noëlle Bussac, « Traité des couleurs », Presses polytechniques et universitaires romandes, Lausanne, 2003.

    Moritz Zwimpfer, « Couleur, optique et perception », Dessain et Tolra, Paris, 1992.

    Note: Illustrations

    À l’exception des tableaux d’Albers, du tableau de Raphaël et du vitrail de Chartres qui sont dans le domaine public (Wikimedia Commons), toutes les autres sont des photos de Marc Crunelle.

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    4 commentaires sur “Marc Crunelle: Enseigner la couleur aux architectes”

    1. Belle illustration des concepts qui pilotent notre système visuel.
      A lire et à relire tant cela conditionne notre perception artistique, voire notre vie quotidienne.
      Merci Vinciane !

    2. Pour ce qui est de Chevreul, bon choix de joindre un lien qui conduit à la première édition de « De la loi du contraste simultané…….. », en deux parties, de 1839, plutôt qu’aux éditions suivantes. Mais, sauf mon erreur, le lien vers la bibliothèque du Smithsonian, ne montre que l’Atlas. Voici deux liens qui permettent d’étudier l’ouvrage complet, Atlas et textes:

      http://books.google.fr/books?id=bAgeV-awvDMC&printsec=frontcover&dq=Chevreul#PPP1,M1

      https://books.google.be/books?id=UcZ5-Z5JoVUC&printsec=frontcover&dq=Chevreul+de+la+loi+du+contraste+simultané+Atlas&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwjMlLOT6qLhAhUDEVAKHcU5ADAQ6AEIKTAA#v=onepage&q=Chevreul%20de%20la%20loi%20du%20contraste%20simultané%20Atlas&f=false

      Par ailleurs, toujours en rapport avec Chevreul, ce qui figure ici n’est-il pas particulier ? Il y montre qu’une couleur donne à une couleur avoisinante une nuance complémentaire dans le ton : les complémentaires s’éclairent mutuellement et les couleurs non-complémentaires paraissent “salies”, comme lorsqu’un jaune placé près d’un vert prend une nuance violette (source: Wikipedia)

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