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Défi #3 Explorer une palette restreinte

    Si on aime les couleurs, on sera tenté de les associer en nombre, que ce soit pour décorer son salon ou pour réaliser une toile. Ou alors, on ne saura par où commencer, et, par peur de faire une faute de goût, on restera dans les noirs, gris et blancs, bref, dans les couleurs neutres.

    Dans le premier cas, on prend trop de risques, car plus il y a de teintes différentes, plus gérer leurs interactions est difficile. Dans le deuxième, on n’en prend pas assez, on reste dans le confort de la neutralité.

    La solution consiste à commencer par une palette restreinte et explorer toutes les harmonies qu’elle offre; c’est l’objet de ce troisième défi.

    Vous connaissez à présent la recette SORC : S’inspirer-Observer-Reproduire-Créer.

    S’inspirer

    Quand on regarde attentivement la palette de couleurs présentes dans des œuvres d’art qui nous paraissent spécialement harmonieuses ou dans des lieux où l’on se sent particulièrement bien, on constate qu’elles sont souvent construites sur une gamme de teintes très limitée. Pour s’inspirer, on aura donc l’embarra du choix; aussi, pour canaliser notre recherche, on s’imposera une palette incluant une teinte donnée.

    S’inspirer…de la peinture

    Les peintres ne sont-ils pas les plus à même pour nous guider dans cette recherche?

    Commençons par une palette où le jaune serait dominant. Un tableau de Turner, par exemple.

    Sur internet, diverses reproductions du « lever de soleil à Norham Castle » nous laissent voir tantôt une palette dans les bleu-jaune, tantôt dans les violet-jaune. La première évoque plutôt les aquarelles que Turner réalisait sur papier coloré, au cours de ses voyages. La seconde me semble plus représentative de ses peintures à l’huile, ce qui est le cas de ce tableau. Quelque soit la vérité, la palette reste limitée et…magique.

    « Lever de soleil à Norham Castle », peinture à l’huile, Turner (1845)

    Notez que même si la sensation de jaune est bien là, une grande partie du tableau est relativement neutre: Turner utilise beaucoup de gris colorés.

    Quant à une palette restreinte où le vert domine, les jardins de Gustave Klimt nous offrent de beaux exemples, et en particulier ce tableau intitulé « Le parc du château de Kammer ».

    « Le Parc du château de Kammer », peinture à l’huile, Klimt (1909)

    Remarquez que si les verts occupent presque l’entièreté du tableau, une « respiration » blanche donne une ouverture et structure la composition.

    S’inspirer…du graphisme et de la photographie retravaillée

    Les réalisations graphiques, que ce soit via des affiches ou des programmes culturels, présentent également des sources d’inspiration intéressantes.

    Celle présentée ci-dessous, à gauche, illustre une page du programme du Collège Belgique. Ici, la palette est très réduite puisqu’une seule teinte est présente. Néanmoins, l’image a un impact différent de la photographie initiale en noir et blanc. Ce procédé confère une cohérence graphique à l’ensemble du programme: les illustrations de début et fin de chapitre, chacun consacré à un lieu de conférence différent, sont ainsi constituées d’une photo architecturale du lieu combinée à une teinte différente.

    Pour illustrer une palette restreinte dans les bleus cyan, j’ai associé cette image à une photo d’Antonio Giustini; la photographie est traitée par un filtre Hipstamic, un peu dans le même esprit, sauf qu’il laisse une zone de l’image en noir et blanc sans altération chromatique.

    À gauche: Palais des Académies, intérieur. Photo : © P. Molitor; réalisation graphique : L. Buscemi, Académie royale de Belgique. À droite: photo Antonio Giustini (@giustonio61).

    S’inspirer…de la xylographie

    La xylographie est le terme technique pour la gravure sur bois. Son principe repose sur la production d’une série de matrices (des planches en bois en partie évidées), qu’on enduit d’encre et qu’on imprime successivement par contact avec le support. Seules les parties non évidées — et éventuellement quelques traces de gouge — seront retranscrites sur le papier. Selon la transparence des encres et l’ordre d’impression, de nouvelles nuances de couleur apparaîtront ou disparaîtront.

    Ce procédé est à la fois très ancien et très contemporain.

    Les estampes japonaises sont des impressions en xylographie. Un grand maître en la matière est Hokusai, spécialiste de l’ukiyo-e, un mouvement artistique japonais de l’époque d’Edo (1603-1868) .

    Le Fuji par temps clair, gravure sur bois, Hokusai
    « Le Fuji par temps clair » de la série Trente-six vues du Mont Fuji, Hokusai, gravure sur bois (1823-1829)

    Sur cette estampe seules deux teintes sont présentes: le bleu, dans différentes nuances et le rouge, en version claire et foncée. Le blanc du papier et un gris bleu équilibrent à nouveau l’ensemble.

    Bien qu’il utilise parfois cinq ou six passages sous la presse, Gustave Marchoul (1924-2015) a créé des gravures sur bois présentant des harmonies de couleurs relativement restreintes, comme le montrent les deux gravures ci-dessous.

    Gustave Marchoul, deux gravures sur bois.
    À gauche: « Ciel et Terre » (1985); à droite: « Colza et bruine d’or » (1985)

    Par nature la xylographie offre une palette restreinte de couleurs. Elle permet également d’explorer différentes palettes: il suffit de changer l’encre des matrices.

    S’inspirer…du design textile

    Les textiles africains, souvent très graphiques, que ce soit des velours du Kasaï ou plus généralement des textiles du royaume de Kuba (à droite ci-dessous), ou encore les tissus bogolans du Mali (à gauche) présentent de magnifiques palettes dans des couleurs terre. À nouveau, des zones plus neutres aèrent la composition et rythment l’ensemble.

    Les palettes « terre » de textiles africains

    Les années cinquante sont également très riches en terme de motifs graphiques réalisés dans des palettes de couleurs restreintes, notamment pour la production textile.

    Lucienne Day dont le motif « Calyx » créé en 1951 et présenté ci-dessous, a été une designer textile les plus influentes de Grande Bretagne. Comme pour la plupart de ses tissus aux motifs sérigraphiés, elle y déploie une belle palette restreinte; ici, un jaune citron, un rouge vif et du brun foncé ont été appliqués sur un fond brun clair et quelques formes géométriques blanches tantôt unies tantôt mouchetées animent l’ensemble.

    « Calyxs » , tissu d’ameublement sérigraphié, Lucienne Day (1951)

    Observer

    Dans les sujets d’inspiration cités plus haut, j’ai déjà attiré votre attention sur la présence de tons plus neutres, tels les gris colorés de Turner, le blanc du papier sur l’estampe d’Hokusaï, ceux de quelques motifs de textile. Tous ces tons qu’on oublierait de nommer dans une description, soit parce qu’il est difficile de les qualifier, soit parce qu’on ne les voit pas, jouent un rôle important dans les harmonies de couleur. On y reviendra dans un futur défi.

    La xylographie, tout comme la sérigraphie, procède par passage successif d’impressions colorées. Pouvez-vous identifier sur les gravures de Marchoul les différentes couleurs d’encre utilisées?

    Il y a certainement deux jaunes: un jaune citron et un jaune orangé. Deux bleus: un bleu-vert pâle et un bleu foncé. Celui-ci est se présente sous forme de dégradé: un bleu assez foncé devenant presque noir à la mi-hauteur de la gravure. Marchoul aura sans doute réalisé ce dégradé directement sur la matrice, comme procédaient les graveurs japonais pour représenter le ciel dans les estampes. Voyez comment Hokusaï a utilisé ce procédé dans « Le Fuji par temps clair », pas seulement pour le ciel, aussi pour le mont.

    Il n’y a pas de passage à l’encre verte. En effet, le vert printemps perçu résulte d’une superposition du jaune-orangé sur le bleu-vert pâle. Détectez les autres zones colorées qui correspondent à une superposition d’encres.

    Observer la gravure de Marchoul: les encres, leurs superpositions, le rythme

    Voyez aussi comment le rythme du geste gravé influence la perception de la couleur. En haut de l’image, le rythme du jaune-orangé sur le celui plus dense du bleu-vert pâle donne l’illusion d’une nouvelle couleur.

    Toutes ces couleurs s’harmonisent parfaitement, d’autant plus qu’elle résultent d’un mélange des encres: mélange « soustractif » (par superposition de couche d’encre), ou mélange « optique » (par juxtaposition de rythmes de couleurs différentes).

    Un exercice pratique de mélange

    Vous pouvez vous exercer à réaliser des harmonies simples en mélangeant des quantités variables de gouache de deux couleurs différentes. La suite de cette section décrit cet exercice utile mais qui pourra sembler ennuyeux à d’autres. Si c’est le cas, passez directement à la section suivante.

    Par exemple, prenez un jaune (citron ou jaune-orangé ou encore un ocre) et un bleu (ou un violet). Constituez une grille de petits carrés que vous allez remplir de gauche à droite, ou de droite à gauche, ou en alternance, avec des mélanges de quantité variable de peinture.

    Mélanges soustractifs à base de gouache

    Dans les colonnes extrêmes — à gauche les jaune/ocre, à droite les violet/bleu —-, les tons sont tels qui se présentent dans le pot (Talens) ou dans le tube (Dalbe). Ici, les gouaches Dalbe n’ont plus été utilisées depuis plusieurs années; elles n’ont pas séché, mais le liant n’est plus homogène dans le tube, c’est la raison pour laquelle j’ai fait la suite de l’exercice avec de la gouache Talens en pot, plus récente.

    Au fur et à mesure qu’on se déplace vers la colonne centrale, on ajoute de la couleur de l’autre pot. Essayez de réaliser des échantillons où l’écart de couleur est constant. Mon premier essai sur la première ligne est peu concluant; j’ai procédé alternativement en travaillant deux mélanges en parallèle, l’un à partir du jaune, l’autre à partir du violet; comme j’ai atteint la même couleur de mélange avant d’avoir complété la ligne, j’ai laissé deux carrés vierges. En fait, l’écart entre le troisième et le quatrième carré est trop important, j’aurais dû introduire d’autres nuances. Le deuxième essai, sur la ligne suivante, est déjà meilleur, même si les premiers carrés jaunes sont trop proches à présent. Exercez-vous sur quelques lignes, puis changer une couleur, ou les deux.

    En attaquant le mélange ocre et bleu, on voit que j’ai nettement progressé: on distingue bien les nuances d’un carré à l’autre et je ne dispose pas assez de carrés pour réaliser toutes les nuances: sur la première ligne je suis partie du bleu, et sur la suivante, de l’ocre.

    Remarquez les harmonies « naturelles » des échantillons produits au départ de deux mêmes couleurs. Harmonie qui est brisée si les deux couleurs sont modifiées comme lorsque l’on passe du mélange ocre – bleu outremer clair au jaune citron-bleu phtalo.

    Voyez les nuances de vert qui peuvent être produites au départ de jaune (citron, orangé ou ocre) et de bleu (outremer, phtalo).

    Chaque ligne va d’une nuance claire à une nuance foncée. Parfois, une couleur foncée en provenance du pot peut être encore plus foncée par l’ajout d’une couleur claire. Cela paraît contre-intuitif, mais c’est la réalité des mélanges de couleurs complémentaires soustractives. C’est le cas sur l’avant dernière ligne du tableau. Pour foncer une couleur, les peintres préfèrent souvent cette technique à celle qui consiste à mélanger la couleur à du noir.

    Idéalement, pour connaître votre matériel, vous devriez constituer ce type d’exercice pour tous les pigments différents que vous possédez. C’est essentiellement la nature du pigment et non le nom de la couleur qui est déterminant dans un mélange. Dalbe ne donne pas le nom du pigment sur le tube alors que Talens l’indique sur le pot.

    Recopier-Reproduire

    Dans l’aquarelle ci-dessous, j’ai tenté de reproduire la palette d’une aquarelle de Turner, « Ehrenbreiststein 1841 ». Je n’ai pas trouvé d’image sur la toile qui corresponde à la reproduction qui m’a servi de base pour la copie, ni au souvenir que j’ai des aquarelles de Turner.

    D’après Turner « Ehrenbreiststein 1841 » (V. Lacroix)

    Je vous recommande de faire également des copies, qu’elles soient réalisées au départ de reproductions trouvées dans des livres ou sur internet. Si vous disposer de tableaux originaux, c’est encore mieux.

    Dans notre culture occidentale on a dénigré l’aspect formateur de la réalisation d’une copie, lisez les réflexions de Fabienne Verdier à ce propos dans le résumé que j’ai fait de son livre « Passagère du silence ».

    Créer

    Les lieux abandonnés où la pluie et le temps ont ajouté leur patine sont remplis de textures et de surfaces de couleurs présentant des palettes restreintes.

    Ci-dessous, le fond d’une piscine abandonnée m’a inspiré pour une série de photographies abstraites, présentant une palette proche de celle des tableaux de jardin de Klimt.

    Photographies abstraites (V. Lacroix)

    Pour réaliser la gravure sur bois ci-dessous, deux teintes seulement ont été utilisées: un bleu ciel et un orange; pour équilibrer l’ensemble j’ai utilisé le blanc du papier laissé vierge à quelques endroits, un gris moyen et enfin du noir; j’ai créé une matrice pour chaque nuance. La première a été imprimée avec un bleu ciel; elle est présentée à gauche ci-dessous tandis que l’ensemble des passages est visible à droite.

    Gravure sur bois, « Lofoten », Vinciane Lacroix.
    À gauche: premier état; à droite résultat final.

    A présent, à vous de jouer.

    Quel artiste vous inspire dans son utilisation de palettes restreintes? Par quel choix de couleurs allez-vous commencer?

    N’hésitez pas à commenter ci-dessous et à partager vos découvertes.

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    2 commentaires sur “Défi #3 Explorer une palette restreinte”

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