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Sylvie Zanier et Julien Delahaye : enseigner la couleur à l’école pour initier les enfants à la démarche scientifique

    Connaissez-vous le projet « 1, 2, 3, Couleurs !  » ?

    La recherche de filtres colorés documentés par leur spectre de transmission m’a conduite vers son site. Merci Google! Derrière ce projet, on trouve une micro-entreprise qui vend du matériel didactique pour réaliser des expériences sur la couleur et des pages scientifiques pour « s’émerveiller, expérimenter et comprendre ». Quelle coïncidence et complémentarité avec la mission de mon blog dédié à la couleur!

    Vu la qualité du contenu scientifique et pédagogique, je leur fais part de ce projet d’articles sur l’enseignement de la couleur. Le contact établi, quelle n’est pas ma joie alors de découvrir la richesse, le soin d’écriture et l’enthousiasme des deux rédacteurs, Sylvie Zanier et Julien Delahaye.

    Sylvie est enseignante à l’Université de Grenoble Alpes tandis que Julien est chercheur au CNRS.

    L’aventure de « 1, 2, 3, Couleurs! »

    Tous deux physiciens, Julien et Sylvie sont tombés dans la marmite de la couleur en 2005; c’était l’Année Mondiale de la Physique. Pour eux comme pour beaucoup de scientifiques, la couleur était alors avant tout associée à des ondes électromagnétiques, celles que notre oeil est capable de percevoir. Mais les questions relatives à la couleur en tant que matière ou en tant que sensation (comment et pourquoi voyons-nous des couleurs ? ) ne les avaient jusque là pas encore titillés.

    D’interventions en démonstration, de festivals scientifiques en fêtes de la science, leur passion pour la couleur se développe. Le sujet s’avère propice à la transmission de l’approche scientifique. La proposition de formation sur la couleur s’affine alors et se concrétise dans un parcours pédagogique pour la Maison pour la Science en Alpes Dauphiné ; on est en 2015, l’année internationale de la lumière. À cette occasion, un concours destiné à des écoles primaires les plongera dans le questionnement de l’enseignement de la couleur pour les enfants, renouvelant ainsi leur inspiration.

    En janvier 2017, Céline Cardeilhac se joint à eux pour créer la micro-entreprise « 123 Couleurs », destinée à la compréhension de la couleur et de ses mystères par la pratique d’expériences scientifiques simples.

    Pour en savoir plus sur l’histoire du projet, lisez cet article.

    Mais à présent, je vous laisse dans les mains de Sylvie Zanier et Julien Delahaye qui ont rédigé la suite de cet article.

    Une formation scientifique sur la couleur pour professeurs des écoles

    Nous participons en tant que scientifiques et depuis plus de dix ans à de nombreuses actions de médiation sur le thème de la couleur. Nous intervenons auprès de publics variés, en particulier les scolaires, de la maternelle à l’université.

    C’est ainsi qu’entre 2015 et 2018, nous avons été sollicités par la Maison pour la Science en Alpes Dauphiné pour proposer aux professeurs des écoles de l’académie de Grenoble une formation dédiée aux aspects scientifiques de la couleur.

    Les Maisons pour la Science sont nées en 2012, à l’initiative de l’académie des Sciences. Elles sont coordonnées par la fondation La Main à la Pâte et ont pour objectif d’aider les enseignants de la maternelle jusqu’à la classe de 3ème à faire évoluer leurs pratiques d’enseignement des sciences. Elles proposent notamment une offre de formation continue faisant intervenir des acteurs du monde de la recherche (public et privé).

    Dans cet article, nous décrivons le déroulé type de notre formation, qui dans sa forme la plus longue s’étend sur deux journées. Elle s’adresse à des enseignants de l’enseignement primaire déjà en poste, ayant des profils très divers et dont une majorité n’a pas suivi d’études scientifiques. L’objectif est donc à la fois de donner des connaissances sur le sujet, des idées d’activités à mener en classe avec les élèves, mais aussi pour certains, de (r)éveiller l’envie de faire des sciences en classe.

    Après une journée de formation, la table est couverte d’un joli bazar coloré. Le plaisir de faire des expériences n’est pas réservé aux seuls enfants (© Photo : Patrick Arnaud) !

    Pourquoi la couleur est un sujet de choix pour faire des sciences à l’école ?

    Tout d’abord, la couleur est un sujet qui permet une véritable pratique scientifique dès le plus jeune âge. De nombreuses activités mettant en jeu des protocoles et des raisonnements plus ou moins complexes sont possibles, sans faire appel à du matériel sophistiqué ou coûteux.

    Ensuite, c’est un sujet incroyablement quotidien qui nous touche tous. Nous voyons « en couleurs » et dans notre monde moderne, les couleurs sont omniprésentes : vêtements, affiches, écrans lumineux, etc. Mais paradoxalement, nous ne savons généralement pas vraiment ce que voir en couleurs veut dire, et nous ignorons la façon dont les couleurs peuvent être techniquement (re)produites. Les motivations pour en savoir plus ne manquent donc pas : pour les plus jeunes enfants, on pourra aborder le sujet via les mélanges de matières colorées (peintures, feutres, etc.), pour les enfants un peu plus âgés, via la reproduction des couleurs sur les écrans lumineux.

    Enfin, c’est un sujet qui permet d’établir des ponts entre différentes disciplines, scientifiques et non scientifiques, qui ne se parlent habituellement pas beaucoup. Un artiste trouvera un intérêt pour sa pratique à adopter la vision d’un scientifique, et réciproquement un scientifique aura beaucoup à apprendre de la vision d’un artiste. Chaque enseignant peut donc trouver une motivation personnelle à faire des sciences à l’école sur le thème de la couleur.

    Les objectifs de la formation

    Du seul point de vue de la couleur, les objectifs de cette formation sont doubles. Il s’agit tout d’abord de faire prendre conscience aux participants que les mélanges de couleurs suivent deux types de règles bien distinctes, selon qu’on mélange des matières colorées (synthèse soustractive) ou des lumières colorées (synthèse additive). Il s’agit ensuite de leur donner des clés permettant de comprendre d’où viennent ces règles, et quels sont les liens entre elles.

    Plus généralement, cette formation est aussi l’occasion de montrer la puissance de la démarche scientifique pour apporter des réponses à des questions simples : pourquoi un mélange de jaune et de cyan donne du vert en peinture ? Pourquoi c’est différent si on mélange des lumières colorées ? Comment les couleurs sont reproduites sur des supports imprimés ? Sur des écrans lumineux ? De nombreuses connaissances scientifiques sont également introduites : spectres lumineux, longueur d’onde, spectres d’absorption et d’émission, structure de l’œil, interactions entre la lumière et la matière et ses fameux mots en « ion » (diffusion, réflexion, réfraction, diffraction, dispersion).

    Pourquoi des peintures jaune et cyan donnent du vert quand on les mélange ? Voici l’une des questions à laquelle la démarche scientifique permet d’apporter des éléments de réponse.

    Une approche basée sur l’expérience

    L’expérience est au centre de notre approche et la progression dans la formation se fait par une suite de questions / expérimentations / discussions / explications. Chaque fois que c’est possible, les participants sont invités à réaliser les expériences eux-mêmes, et quand des explications sont avancées, une « preuve » expérimentale est proposée. Sans cette étape pratique, le risque est de passer à côté des subtilités inhérentes à une expérience « réelle », sans parler des éventuelles difficultés techniques de mise en œuvre.

    C’est aussi l’occasion de montrer comment, à partir de la complexité de la réalité, on peut dégager des règles et des modèles, qui permettent d’avancer dans la compréhension et la prédiction des phénomènes.

    Enfin, il est souvent plus intéressant de retenir la méthode permettant de retrouver un résultat que le résultat lui-même. C’est d’ailleurs une des spécificités de la méthode scientifique : tout un chacun a (en principe) la possibilité de vérifier, voire éventuellement de remettre en cause les explications qui lui sont proposées.

    Pour la mise en pratique en classe et l’approfondissement de certaines notions, les participants peuvent s’appuyer sur le site internet 123couleurs.fr que nous développons depuis 2015, et qui a pour objectif de proposer des expériences, des explications et des ressources matérielles au plus grand nombre. La plupart des expériences proposées pendant la formation sont reprises sur le site.

    La page d’accueil du site 123couleurs.fr où sont regroupées des ressources (protocoles d’expériences, explications, matériel) pour mener à bien des activités scientifiques sur le thème de la couleur.

    1ère jour : introduction et établissement des règles de mélange des couleurs

    Quels mots associez-vous au mot « couleur » ?

    Au début de la formation, chaque participant est invité à noter sur un morceau de papier trois mots qu’il associe au mot « couleur ». Ces mots nous permettent de savoir ce que les participants ont en tête et ils reflètent la culture propre à chacun : peinture et pigments pour les personnes qui ont une culture plutôt artistique, longueur d’onde et spectre pour celles qui ont une culture plutôt scientifique.  

    Exemples de mots associés au mot « couleur ». Ces mots sont rangés dans trois catégories différentes, la matière, la lumière et la vision, avec pour certains des recouvrements

    Comment se mélangent les matières colorées ?

    Pour répondre à cette question, les participants sont séparés en petits groupes, chaque groupe explorant les mélanges de matières colorées avec un médium différent : filtres en plastiques colorés, colorants alimentaires, feutres, pâtes à modeler.

    La mise en commun des différents résultats permet de prendre conscience qu’à des nuances près, les règles de mélanges sont comparables d’un médium à l’autre. Ces règles sont celles de la synthèse dite soustractive des couleurs. Elles sont aussi l’occasion de définir ce qu’on appelle une couleur primaire.

    D’un point de vue méthodologique, l’exploration des mélanges de matières colorées est particulièrement intéressante avec les enfants : elle demande une organisation rigoureuse, tant dans le choix des mélanges qui sont faits que dans la façon de noter les résultats obtenus.

    Les filtres colorés sont des supports de choix pour établir les règles de mélange des matières colorées. On retrouve sur cette image, où des morceaux de filtres se superposent partiellement, les couleurs primaires de la synthèse soustractive des couleurs (jaune, cyan et magenta), les couleurs secondaires (rouge, vert et bleu), qui peuvent s’obtenir par mélange de deux couleurs primaires (rouge = jaune + magenta, vert = jaune + cyan, bleu = cyan + magenta), et les couples de couleurs complémentaires (une primaire et une secondaire qui donnent du noir par mélange) comme par exemple cyan et rouge.

    Comment ces règles sont utilisées en pratique ?

    Ces règles sont par exemple utilisées pour reproduire les couleurs sur des supports imprimés. La technique de quadrichromie, qui est la plus répandue, utilise des encres primaires jaune, cyan et magenta, auxquelles s’ajoute de l’encre noire qui permet notamment d’augmenter les contrastes.

    Pour reproduire les couleurs, cette technique fait appel à des superpositions de taches d’encres pour les couleurs les plus saturées, mais également à des juxtapositions, que l’on ne peut discerner à l’œil nu (on parle dans ce cas de mélange optique).

    Un microscope numérique permet, pour quelques dizaines d’euros, de découvrir comment les couleurs sont reproduites sur les supports imprimés. Sur un vert de saturation intermédiaire, imprimé avec une imprimante domestique bon marché, on observe des taches d’encres cyan et jaune reparties aléatoirement sur la surface de la feuille, en partie juxtaposées et superposées (quelques taches de magenta sont même visibles). L’image fait environ un millimètre de large.

    Les règles de la synthèse soustractive sont également utilisées pour obtenir une large gamme de couleurs à partir d’un nombre réduit de colorants.

    La technique de chromatographie permet de réaliser une opération « magique » : séparer des colorants qui ont été mélangés. Les différents participants sont invités à lire chez eux le protocole qui est décrit de façon détaillé sur le site 123couleurs.fr, puis à le tester sur l’ensemble des feutres d’une boîte. Les résultats obtenus et les difficultés rencontrées sont discutées collectivement au début de la deuxième journée de formation. La chromatographie est l’occasion d’initier les enfants à une véritable technique de laboratoire, qui demande soin et méthode.

    La chromatographie permet d’identifier, avec de simples filtres à café ou du papier buvard, quels colorants entrent dans la composition des encres d’une boîte de feutres. Dans cet exemple, cinq colorants différents sont visibles dans les encres de nos douze feutres, une dizaine de minutes après avoir trempé l’extrémité basse d’une feuille de papier buvard dans de l’eau salée. On retrouve en particulier que les encres des feutres verts sont fabriquées à partir de mélanges de colorants jaune et cyan, alors que les encres des feutres bleus contiennent des colorants cyan et magenta.

    Comment se mélangent les lumières colorées ?

    Si les règles de mélange des matières colorées sont familières pour beaucoup d’entre nous, en particulier pour les jeunes enfants qui sont habitués à manipuler de la peinture, il n’en est pas de même des mélanges de lumières colorées. Or quand on teste ces mélanges avec trois sources de lumière blanche et un jeu de filtres colorés, on s’aperçoit que les règles établies précédemment ne sont plus valables :  les couleurs jaune, cyan et magenta peuvent être obtenues par mélange (respectivement de lumières verte et rouge, verte et bleue, et bleu et rouge) et ne sont donc plus des couleurs primaires.

    Les nouvelles couleurs primaires (définies par le fait qu’elles ne peuvent pas être obtenues par mélange) sont le rouge, le vert et le bleu, qui donnent du blanc quand on les mélange toutes les trois ensemble. Ces nouvelles règles sont celles de la synthèse dite additive des couleurs, dont la symétrie avec les règles de la synthèse soustractive ne semble pas relever du hasard : les primaires de l’une sont les secondaires de l’autre ; dans un cas, on part du noir et on arrive au blanc (avec les mélanges de lumières), dans l’autre c’est le contraire (avec les mélanges de peintures).  

    Dans cette salle du Palais de la Découverte à Paris, trois lampes rouge, verte et bleue sont accrochées au plafond et éclairent le sol. On y voit clairement les nouvelles couleurs obtenues par mélange, là où les différents disques de lumières colorées se recouvrent.
    En plaçant sa main dans trois faisceaux de lumières rouge, verte et bleu, devant un écran ou un mur blanc, on peut observer de magnifiques ombres chinoises colorées. Une façon ludique d’étudier avec les enfants les règles de mélanges des lumières colorées et de réfléchir aux notions d’ombres et de pénombres.

    Comment ces règles sont utilisées en pratique ?

    Nous utilisons les règles de mélanges des lumières colorées sans même le savoir chaque fois que nous regardons un écran lumineux (ordinateur, télévision, smartphone, etc.). Et comme pour les supports imprimés, un microscope numérique permet facilement d’en visualiser le fonctionnement : des paquets de trois rectangles lumineux, rouge, vert et bleu, appelés « pixels », recouvrent tout l’écran.

    En ajustant l’intensité lumineuse des rectangles rouge, vert et bleu de chacun des pixels, on peut reproduire la (quasi) totalité des couleurs que nous connaissons. C’est le codage RVB des couleurs. À la distance à laquelle nous regardons habituellement les écrans, ces rectangles lumineux ne peuvent pas être discernés et le mélange se produit dans notre œil (ici encore c’est un mélange optique). 

    Sur cette image, un microscope numérique a été placé à cheval sur un trait jaune fin tracé verticalement sur un fond blanc. Le blanc du fond est obtenu en allumant à leur intensité maximale les rectangles rouge, vert et bleu, et le trait jaune (qui fait ici trois pixels de large) est obtenu en « éteignant » les rectangles bleus.

    Comment les couleurs se mélangent sur une toupie en rotation ?

    La première journée se termine par cette question ouverte, avec en sous-entendu : les couleurs sur une toupie en rotation se mélangent-elles comme les matières colorées ou comme les lumières colorées ? Comme pour la chromatographie des encres de feutres, chaque participant est invité à tester chez lui cette autre façon de mélanger les couleurs et les résultats obtenus par chacun sont discutés avec l’ensemble du groupe au début de la deuxième journée.

    On est tenté de répondre à cette question « comme les matières colorées » car les couleurs des disques sont obtenues à l’aide de colorants ou de pigments (ici, les disques ont été coloriés avec des feutres). Mais comme le montre cette photo, la réponse est autre : quand les secteurs rouge, vert et bleu se mettent à tourner et à se « mélanger » deux à deux, on obtient des anneaux jaune, cyan et magenta, conformément aux règles de la synthèse additive des couleurs.

    2ème jour : le temps des explications

    Le deuxième jour de formation va permettre d’apporter des éléments de réponse aux nombreuses questions qui se posent suite aux observations de la première journée. Pourquoi trois couleurs primaires et pas quatre ? Pourquoi celles-là et pas d’autres ? Pourquoi cette symétrie parfaite entre les règles des synthèses additive et soustractive ? Et pourquoi les appelle-t-on « additive » et « soustractive » ? (qu’est-ce qu’on additionne ou soustrait ?)

    Qu’est-ce qui nous permet de dire qu’une pomme est rouge ?

    Nous proposons pour commencer de revenir à des choses simples et de se demander ce qui est nécessaire pour voir des couleurs. On réalise alors qu’il faut de la lumière blanche (une lumière colorée modifie la couleur des objets) ; un objet, c’est-à-dire de la matière, qui renvoie une partie de la lumière vers nous ; des yeux et un cerveau. Et c’est en analysant ces différents éléments (de quoi la lumière blanche est-elle faite ? que fait la matière sur la lumière ? comment fonctionne notre système visuel ?) que nous pouvons espérer répondre à l’ensemble des questions précédentes.

    Nous pouvons dire qu’une pomme est rouge parce qu’elle est éclairée par de la lumière blanche, qu’elle renvoie une partie de cette lumière vers nos yeux et parce que cette lumière est finalement analysée par notre système visuel.

    Première étape : de quoi la lumière blanche est-elle faite ?

    Nous avons vu lors de la première journée qu’il est possible d’obtenir une lumière blanche en « mélangeant » des lumières rouge, verte et bleue. Mais qu’en est-il de la lumière blanche qu’on utilise pour s’éclairer, qu’elle soit naturelle (la lumière directe ou indirecte du Soleil) ou artificielle (lampes) ?

    Pour obtenir cette information précieuse, il est nécessaire de faire ce qu’on appelle une expérience de décomposition de la lumière. Et si la décomposition par un prisme est la technique la plus célèbre (Newton l’a utilisée en 1666), ce n’est généralement pas la plus facile à mettre en œuvre.

    Nous présentons donc aux participants différentes expériences et objets qui permettent de décomposer facilement la lumière blanche en classe : bassine d’eau et miroir (prisme à eau), disque compact, lunettes de diffraction. Ces expériences permettent de voir que la lumière blanche du Soleil ou d’une lampe halogène est composée d’un mélange continu de lumières colorées « pures » allant du violet au rouge, en passant par le bleu, le cyan, le vert et le jaune, un dégradé communément appelé « les couleurs de l’arc-en-ciel ».

    C’est l’occasion de parler de la nature physique de la lumière (la lumière est une onde électromagnétique) et d’introduire les notions de spectre et de couleurs spectrales. L’occasion aussi de rappeler que toutes les couleurs que nous connaissons ne sont pas dans l’arc-en-ciel : on n’y trouve en particulier pas le magenta (qu’on appelle pour cette raison « couleur extra-spectrale »).

    Les lunettes de diffraction sont un moyen très ludique et bon marché de décomposer la lumière blanche. En regardant avec ces lunettes une petite source lumineuse dans le noir, on voit apparaître de part et d’autre de la source des spectres, c’est-à-dire des dégradés aux couleurs de l’arc-en-ciel. Même si les mécanismes physiques d’interférences et de diffraction à l’origine de cette décomposition sont difficilement accessibles aux enfants, le spectacle et l’émotion sont au rendez-vous !

    Deuxième étape : que fait la matière sur la lumière blanche ?

    Quand un objet est éclairé par de la lumière blanche, il reçoit donc toutes les couleurs « lumière » pures de l’arc-en-ciel. Et c’est la capacité qu’aura cet objet à renvoyer ou à absorber certaines composantes spectrales de la lumière reçue, qui lui donnera sa couleur (si on se limite aux couleurs dites chimiques). À l’aide d’une des expériences de décomposition décrite précédemment et en plaçant devant la source de lumière blanche des filtres colorés, il est possible de voir quelles parties du spectre sont absorbées par les filtres et quelles parties sont transmises. Cette propriété peut ensuite se généraliser à l’ensemble des objets colorés, y compris ceux qui ne sont pas transparents. On comprend ainsi qu’un objet jaune absorbe préférentiellement la partie bleue du spectre (violet-bleu), un objet cyan la partie rouge du spectre, et un objet magenta la partie verte du spectre. Une couleur primaire des mélanges de matières colorées absorbe ainsi une couleur primaire des mélanges de lumières colorées.

    En utilisant des lunettes de diffraction et en plaçant des filtres colorées devant une source de lumière blanche, on peut très facilement visualiser quelles parties du spectre sont transmises et absorbées par les filtres. A gauche, la lumière blanche d’une lampe de poche est vue à travers un réseau de diffraction 2D. A droite, un filtre magenta est placé devant la lampe : la partie verte au centre du spectre « disparaît » et il reste un mélange de rouge et de bleu, qu’on voit magenta.
    Avec un spectromètre, on peut mesurer précisément quel pourcentage de l’intensité lumineuse incidente est transmise par des filtres colorés en fonction de la longueur d’onde. Un filtre cyan absorbe la partie « rouge » du spectre (le coefficient de transmission est très faible pour des longueurs d’onde supérieures à 580 nm), un filtre magenta, la partie « verte » du spectre (longueurs d’onde entre 490 et 580 nm) et un filtre jaune, la partie « bleue » du spectre (longueurs d’onde inférieures à 490 nm). En superposant les filtres jaune et cyan, les parties bleue et rouge du spectre sont absorbées, la partie verte est (partiellement) transmise : on voit du vert. Si on ajoute un filtre magenta, qui absorbe la partie verte du spectre, il n’y a (presque) plus de lumière transmise : on voit du noir.

    On parle de synthèse « soustractive » pour les mélanges de matières colorées car on fait référence au fait que les matières colorées « soustraient » des couleurs « lumière » pures à la lumière blanche qu’elles reçoivent. Par exemple, en mélangeant une matière jaune avec une matière cyan, les parties bleue et rouge du spectre sont absorbées, et seule la partie verte est réfléchie ou transmise : on voit du vert. D’un point de vue méthodologique, ces expériences mettent en évidence la puissance du raisonnement logique et déductif, raisonnement qui peut se faire même avec de très jeunes enfants car il ne fait appel à aucune équation (tout se voit avec les yeux !).

    À la fin de cette séquence, les enseignants sont invités (par provocation) à revoir leur façon de parler des couleurs à l’école : plutôt que de dire aux enfants « prenez une feuille blanche », il faudrait leur dire : « prenez une feuille qui renvoie toutes les couleurs de l’arc-en-ciel ». Plutôt que de dire « coloriez cette feuille en jaune » il faudrait dire « enlevez le bleu de la lumière », plutôt que de dire « coloriez cette feuille en cyan » il faudrait dire « enlevez le rouge ». Les enfants comprendraient ainsi pourquoi en la coloriant à la fois avec de la peinture jaune et cyan, la feuille devient verte. Nous les invitons ainsi à raisonner du point de vue de la lumière, et pas de la matière.

    Peindre en jaune revient à absorber la région bleue du spectre de la lumière (© Dessin : Clara Mallet-Burgues).

    Troisième étape : comment voyons-nous ? Et surtout, comment voyons-nous les couleurs ?

    A ce stade, nous avons compris que la couleur que nous percevons est directement liée à la composition spectrale de la lumière qui entre dans nos yeux. Nous avons compris qu’une couleur primaire « matière » absorbe une couleur primaire « lumière ». Mais nous n’avons toujours pas compris pourquoi trois couleurs primaires (et pas quatre ou cinq) et pourquoi celles-là et pas d’autres.

    C’est le moment de se souvenir que la couleur est d’abord et avant tout une sensation (certains contesteraient cette formulation en mettant en avant la dimension culturelle de la couleur) qui se fait par l’intermédiaire de notre système visuel (yeux, cerveau). C’est aussi le moment d’introduire un modèle simplifié de notre système visuel, qui permet de comprendre une grande partie des phénomènes décrits précédemment : nous percevons les couleurs via des millions de capteurs différents appelés cônes et placés au fond de l’œil, sur la rétine. Ces cônes sont de trois types et trois types seulement, avec des zones de sensibilité différentes dans le spectre de la lumière : un premier type (B) est sensible dans la gamme des bleus, un deuxième (V) dans la gamme des verts, et seul le troisième type (R) est nettement sensible dans la gamme des rouges .

    Les réponses spectrales des trois types de cônes dits « Bleus » (B), « Verts » (V) et « Rouges » (R) présents sur la rétine nous montrent les limites du modèle simplifié décrit dans le texte. On constate notamment que le décalage en longueur d’onde entre les réponses des cônes V et R est très faible. Les cônes R sont ainsi les seuls vraiment sensibles à la partie rouge du spectre, mais leur pic d’absorbance se situe en bordure de la partie verte. Pour comprendre le lien entre ces réponses spectrales et les sensations colorées, il faut prendre en compte le traitement beaucoup plus complexe qui est fait de ces réponses par le système visuel. En particulier, d’autres cellules comparent les signaux issus des trois types de cônes (calcul de sommes et de différences) et comparent également ces signaux entre une zone donnée de la rétine et sa périphérie.

    Quand on mélange des lumières colorées, on commence par se mettre dans l’obscurité, les trois types de capteurs sont inactifs : c’est « noir ». Puis on allume une lampe émettant une lumière correspondant à l’une des trois couleurs « lumière » primaires (rouge, verte ou bleue), ainsi on active (dans notre modèle simplifié) un seul type de capteur. Quand les trois lampes sont allumées, les trois couleurs « lumière » primaires sont mélangées donc les trois types de capteurs sont activés : on voit du blanc.

    Pour les mélanges de matières colorées c’est le contraire : on part d’une feuille blanche qui renvoie vers nos yeux tout le spectre de la lumière qui l’éclaire, les trois types de capteurs sont activés : c’est « blanc ». Puis chaque couleur « matière » primaire (jaune, cyan ou magenta) déposée sur la feuille désactive un type de capteur. Quand les trois couleurs primaires « matière » sont mélangées, tous les capteurs sont désactivés : on voit du « noir ».

    Ces deux schémas représentent notre modèle simplifié des règles de mélange  de lumières et de matières (synthèse additive à gauche, soustractive à droite), sur lequel se base le raisonnement logique qu’on peut pratiquer avec de jeunes enfants. Pour chaque couleur « lumière » ou « matière » sont représentées une composition spectrale de la lumière (encadrés sur fond noir) et la réponse simplifiée de notre système visuel (feux tricolores bleu, vert et rouge, qui symbolisent l’activation de nos trois types de cônes). En réalité bien sûr la situation est plus complexe : la forme précise des spectres d’émission des émetteurs RVB utilisés comme primaires pour les mélanges de lumières, ainsi que celle des spectres de réflexion des pigments ou colorants CMJ utilisés comme primaires pour les mélanges de matières (sans oublier celle de la source de lumière blanche qui les éclaire) s’éloignent plus ou moins de ce modèle , et conduisent à une certaine gamme de couleurs accessible par mélange.

    Objet coloré et lumières colorées

    Le schéma précédent, qui récapitule l’ensemble des règles que nous avons découvertes par l’expérience puis interprétées grâce à un modèle simplifié de la vision trichromique humaine des couleurs, est satisfaisant mais pas forcément très simple pour un néophyte. Il est bon de le réutiliser dans une situation un peu différente, afin de consolider ses connaissances et sa compréhension des phénomènes.

    On propose donc une expérience permettant de retravailler l’ensemble des notions discutées pendant la formation. Il s’agit de voir et de comprendre comment un objet composé de couleurs simples se transforme quand il est éclairé avec une lumière colorée, ou (ce qui revient au même) quand on le regarde à travers un filtre coloré. En raisonnant sur la façon dont les matières colorées agissent sur les compositions spectrales des lumières colorées, on peut comprendre les transformations des couleurs observées. Essayez !

    À travers un filtre rouge, on voit le monde en « rouge et noir », comme ici sur cette photo d’un Rubik’s cube : les cases jaunes, blanches, rouges et orange deviennent rouges, alors que les cases vertes et bleues deviennent noires.

    Est-ce la fin de l’histoire ?

    Pour finir la formation, nous évoquons des phénomènes colorés qui ne rentrent pas dans le cadre simple discuté précédemment mais qui peuvent donner lieu à des phénomènes spectaculaires.

    Premier exemple : toutes les couleurs que l’on rencontre autour de nous ne relèvent pas de ce qu’on appelle les couleurs chimiques, c’est-à-dire de l’absorption par un colorant ou un pigment d’une partie du spectre de la lumière. Dans certains cas, des phénomènes physiques, comme les interférences, sont à l’origine de la modification du spectre de la lumière : couleurs des bulles de savon, reflets colorés sur un CD, couleurs de polarisation, etc.

    Les couleurs de polarisation sont un exemple de couleurs physiques : en plaçant des bandes de scotch entre deux filtres polarisants, de magnifiques couleurs apparaissent en fonction de l’épaisseur du scotch. En changeant l’orientation des filtres polarisants, la couleur du fond et les couleurs des bandes de scotch changent (on passe d’une couleur à sa complémentaire). Les notions physiques en jeu sont complexes (polarisation de la lumière, biréfringence du scotch, interférences) mais ces observations suscitent la curiosité et l’émerveillement

    Deuxième exemple : notre système visuel nous joue parfois des tours colorés, qui traduisent sa richesse et sa complexité. On pourra montrer sur des illustrations le phénomène de contraste simultané qui a tant inspiré les artistes et qui démontre que des couleurs vues simultanément interagissent les unes avec les autres.

    Mais l’exemple sans doute le plus spectaculaire et qui peut donner lieu à des situations très ludiques avec des enfants, est celui des images rémanentes. En regardant fixement une image colorée, puis en déplaçant son regard sur un fond uniformément blanc, on voit apparaître (pendant un certain temps) une image avec la même géométrie mais aux couleurs complémentaires de celles de l’image d’origine (le jaune devient bleu, le cyan devient rouge, le magenta devient vert, et réciproquement). Cette expérience montre que les couleurs sont parfois dans nos yeux et dans notre cerveau, et non dans la matière ou la lumière qu’on regarde.

    Cet arc n’est pas aux couleurs de l’arc-en-ciel : il contient du magenta, et l’ordre des autres couleurs n’est pas le bon. En regardant fixement la petite croix en haut de l’arc pendant une dizaine de secondes, puis en déplaçant votre regard sur un fond blanc (mur, …), vous verrez apparaître un arc aux couleurs de l’arc-en-ciel (de haut en bas : rouge, jaune, vert, cyan et bleu) qui s’effacera lentement au cours du temps.

    Références conseillées

    Quelques livres

    « Traité des couleurs », Libero Zuppiroli, Marie-Noëlle Bussac et Christiane Grimm, Édition Presses polytechniques et universitaires romandes (2011).
    Un très beau livre à la fois pour ses photographies et son contenu scientifique, où les modélisations des phénomènes physiques, accessibles aux spécialistes, sont présentées dans une seconde partie.

    « La couleur dans tous ses éclats », Bernard Valeur, Édition Belin pour la science (2011).
    50 sujets traités sur une double page, avec de belles illustrations, très abordable aux non spécialistes.
    Un éclairage rapide et efficace sur des phénomènes colorés très variés.

    Quelques sites

    https://www.123couleurs.fr/

    Notre site internet dédié aux aspects scientifiques de la couleur avec : des propositions d’expériences, des explications, et à la vente, du matériel spécifique et des kits pédagogiques que nous avons créés.

    http://concourscouleurs38.blogspot.com/

    Le blog d’un concours destiné aux écoles primaires de l’académie de Grenoble et que nous avons co-organisé en 2015 dans le cadre de l’année mondiale de la lumière. Vous y trouverez la fiche d’accompagnement et surtout les contributions scientifiques et artistiques de certaines classes (cliquez sur l’onglet « vos contributions »). Une mine d’idées pour des activités à faire avec des enfants !

    https://www.fondation-lamap.org/

    Le site de la fondation la main à la pâte, avec de nombreux documents et plusieurs propositions de séances sur les couleurs (entrez le mot « couleur » dans le moteur de recherche en haut de la page d’accueil). 

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    6 commentaires sur “Sylvie Zanier et Julien Delahaye : enseigner la couleur à l’école pour initier les enfants à la démarche scientifique”

    1. mes soucis de vision face aux écrans m’ont conduit sur votre site; Bravo, le thème des couleurs offre une gymnastique intellectuelle propre à tout âge et initiatrice qui doit retenir la meilleure attention de nos maitres d’école. Il m’est arrivé de piloter des projecteurs avec des filtres rouges pour colorer la scène de rouge ou de filtrer avec le rouge mon objectif photo pour éliminer les tons trop rouges et mon désespoir (de singe) est des ne plus savoir quand je dois ajout er et quand je dois soustraire. Bref je vais vous relire lentement mais je reste contaminé par de vieilles croyances mal enseignées qui obscurcissent ma vision. La pomme parait elle rouge car elle rejette le vert et le bleu ou inversement parce qu’elle renvoie le rouge ? En attendant d »en saisir davantage sur la quadrichromie….

      1. Merci de votre commentaire et ravie de lire que vous appréciez la gymnastique intellectuelle suscitée par ce blog. Je transmets votre message aux auteurs de l’article, invités ici, dans cette série dédiée à l’enseignement de la couleur, à partager leur pratique. Pour ma part, dans cette matière, je regrette surtout la propagation de l’idée qu’une couleur est une longueur d’onde, et la croyance qu’un objet de telle ou telle couleur réfléchirait telle ou telle longueur d’onde, par exemple une pomme jaune réfléchirait la longueur d’onde proche de 570 nm. D’abord, la couleur n’existe pas dans le monde physique, c’est une fabrication de l’esprit. Et une couleur, si elle provient d’un objet familier comme une pomme, est élaborée dans notre esprit à partir d’un spectre, c’est-à-dire une véritable soupe de rayonnements de différentes longueurs d’ondes, pas seulement d’un paquet d’ondes concentrées autour d’une longueur d’onde donnée. Comme dans une soupe, la quantité de telle ou telle longueur d’onde varie. Si cette « soupe », contient à peu près la même quantité de toutes les longueurs d’ondes visibles, alors elle nous paraîtra blanche…ou grise, ou peut-être même noire, selon la quantité en question. Il est cependant commode d’analyser cette « soupe », sur base de la proportion dans trois segments du visible: les courtes, moyennes et longues longueurs d’ondes, soit les segments [400-480], [480-570], et [570-700]. Selon ces proportions, la « soupe » réfléchie par l’objet paraîtra de telle ou telle couleur. Par exemple, une pomme jaune, réfléchira, « à la grosse louche », très peu de courtes et beaucoup de moyennes et longues longueurs d’ondes. Aussi, la pomme qui vous paraît rouge réfléchit sans doute essentiellement des longues longueurs d’onde. Avec ce modèle assez simple, on comprend aisément que la pomme, ou plus généralement tout objet, ne peut « que » renvoyer l’entièreté ou une partie de ce qu’il reçoit. Aussi, si l’éclairage qui illumine la pomme ne contient que des courtes longueurs d’ondes (un éclairage qui paraît bleu), la pomme semblera noire, n’ayant aucune moyennes et longues longueurs d’onde à sa disposition pour les renvoyer. Quant au filtre, cet objet transparent coloré, il laissera passer une partie du spectre (à nouveau, selon certaines proportions dans les trois segments mentionnés), et dans ce sens, en effet, le filtre « soustrait » des longueurs d’ondes et modifie ainsi la perception. Enfin, le dernier point qui me semble le plus souvent manquer dans l’enseignement de la couleur est le contexte dans lequel la couleur est vue. Si une étude approfondie de ce sujet est complexe, le seul fait de l’évoquer me semble fondamental: un brun peut paraître orange, un gris jaune ou bleu, selon le contexte. Cet aspect me semble plus fondamental que celui des synthèses additives et soustractives et des fameuses couleurs dites primaires et secondaires, concepts encore très (et trop!) présents dans l’enseignement de la couleur.

      2. Par ailleurs, voici la réponse de Sylvie Zanier, co-autrice de l’article, qui d’autre part vous recommande la lecture de cet article pour mieux comprendre la couleur des objets: https://www.123couleurs.fr/articles/objetjaune/

        Synthèse additive et soustractive, on a parfois tendance à mélanger tout ça allègrement !
        Preuve que ça n’est pas si simple, et pas toujours bien enseigné ou expliqué dans les livres.

        On a pu s’en rendre compte récemment avec Julien aussi en formant des animateurs qui vont travailler sur une expo sur la couleur présentée prochainement au Cellier de Reims (exposition itinérante montée par la structure Museoscience, à laquelle on a donné un petit coup de main). La bonne compréhension de ces phénomènes nécessite de prendre le temps de bien décomposer le rôle de la lumière, la matière et le système visuel. Sans ça on a vite fait de se mélanger les pinceaux !

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