Connaissez-vous le projet « 1, 2, 3, Couleurs ! » ?
La recherche de filtres colorés documentés par leur spectre de transmission m’a conduite vers son site. Merci Google! Derrière ce projet, on trouve une micro-entreprise qui vend du matériel didactique pour réaliser des expériences sur la couleur et des pages scientifiques pour « s’émerveiller, expérimenter et comprendre ». Quelle coïncidence et complémentarité avec la mission de mon blog dédié à la couleur!
Vu la qualité du contenu scientifique et pédagogique, je leur fais part de ce projet d’articles sur l’enseignement de la couleur. Le contact établi, quelle n’est pas ma joie alors de découvrir la richesse, le soin d’écriture et l’enthousiasme des deux rédacteurs, Sylvie Zanier et Julien Delahaye.
Sylvie est enseignante à l’Université de Grenoble Alpes tandis que Julien est chercheur au CNRS.
L’aventure de « 1, 2, 3, Couleurs! »
Tous deux physiciens, Julien et Sylvie sont tombés dans la marmite de la couleur en 2005; c’était l’Année Mondiale de la Physique. Pour eux comme pour beaucoup de scientifiques, la couleur était alors avant tout associée à des ondes électromagnétiques, celles que notre oeil est capable de percevoir. Mais les questions relatives à la couleur en tant que matière ou en tant que sensation (comment et pourquoi voyons-nous des couleurs ? ) ne les avaient jusque là pas encore titillés.
D’interventions en démonstration, de festivals scientifiques en fêtes de la science, leur passion pour la couleur se développe. Le sujet s’avère propice à la transmission de l’approche scientifique. La proposition de formation sur la couleur s’affine alors et se concrétise dans un parcours pédagogique pour la Maison pour la Science en Alpes Dauphiné ; on est en 2015, l’année internationale de la lumière. À cette occasion, un concours destiné à des écoles primaires les plongera dans le questionnement de l’enseignement de la couleur pour les enfants, renouvelant ainsi leur inspiration.
En janvier 2017, Céline Cardeilhac se joint à eux pour créer la micro-entreprise « 123 Couleurs », destinée à la compréhension de la couleur et de ses mystères par la pratique d’expériences scientifiques simples.
Pour en savoir plus sur l’histoire du projet, lisez cet article.
Mais à présent, je vous laisse dans les mains de Sylvie Zanier et Julien Delahaye qui ont rédigé la suite de cet article.
Une formation scientifique sur la couleur pour professeurs des écoles
Nous participons en tant que scientifiques et depuis plus de dix ans à de nombreuses actions de médiation sur le thème de la couleur. Nous intervenons auprès de publics variés, en particulier les scolaires, de la maternelle à l’université.
C’est ainsi qu’entre 2015 et 2018, nous avons été sollicités par la Maison pour la Science en Alpes Dauphiné pour proposer aux professeurs des écoles de l’académie de Grenoble une formation dédiée aux aspects scientifiques de la couleur.
Les Maisons pour la Science sont nées en 2012, à l’initiative de l’académie des Sciences. Elles sont coordonnées par la fondation La Main à la Pâte et ont pour objectif d’aider les enseignants de la maternelle jusqu’à la classe de 3ème à faire évoluer leurs pratiques d’enseignement des sciences. Elles proposent notamment une offre de formation continue faisant intervenir des acteurs du monde de la recherche (public et privé).
Dans cet article, nous décrivons le déroulé type de notre formation, qui dans sa forme la plus longue s’étend sur deux journées. Elle s’adresse à des enseignants de l’enseignement primaire déjà en poste, ayant des profils très divers et dont une majorité n’a pas suivi d’études scientifiques. L’objectif est donc à la fois de donner des connaissances sur le sujet, des idées d’activités à mener en classe avec les élèves, mais aussi pour certains, de (r)éveiller l’envie de faire des sciences en classe.
Pourquoi la couleur est un sujet de choix pour faire des sciences à l’école ?
Tout d’abord, la couleur est un sujet qui permet une véritable pratique scientifique dès le plus jeune âge. De nombreuses activités mettant en jeu des protocoles et des raisonnements plus ou moins complexes sont possibles, sans faire appel à du matériel sophistiqué ou coûteux.
Ensuite, c’est un sujet incroyablement quotidien qui nous touche tous. Nous voyons « en couleurs » et dans notre monde moderne, les couleurs sont omniprésentes : vêtements, affiches, écrans lumineux, etc. Mais paradoxalement, nous ne savons généralement pas vraiment ce que voir en couleurs veut dire, et nous ignorons la façon dont les couleurs peuvent être techniquement (re)produites. Les motivations pour en savoir plus ne manquent donc pas : pour les plus jeunes enfants, on pourra aborder le sujet via les mélanges de matières colorées (peintures, feutres, etc.), pour les enfants un peu plus âgés, via la reproduction des couleurs sur les écrans lumineux.
Enfin, c’est un sujet qui permet d’établir des ponts entre différentes disciplines, scientifiques et non scientifiques, qui ne se parlent habituellement pas beaucoup. Un artiste trouvera un intérêt pour sa pratique à adopter la vision d’un scientifique, et réciproquement un scientifique aura beaucoup à apprendre de la vision d’un artiste. Chaque enseignant peut donc trouver une motivation personnelle à faire des sciences à l’école sur le thème de la couleur.
Les objectifs de la formation
Du seul point de vue de la couleur, les objectifs de cette formation sont doubles. Il s’agit tout d’abord de faire prendre conscience aux participants que les mélanges de couleurs suivent deux types de règles bien distinctes, selon qu’on mélange des matières colorées (synthèse soustractive) ou des lumières colorées (synthèse additive). Il s’agit ensuite de leur donner des clés permettant de comprendre d’où viennent ces règles, et quels sont les liens entre elles.
Plus généralement, cette formation est aussi l’occasion de montrer la puissance de la démarche scientifique pour apporter des réponses à des questions simples : pourquoi un mélange de jaune et de cyan donne du vert en peinture ? Pourquoi c’est différent si on mélange des lumières colorées ? Comment les couleurs sont reproduites sur des supports imprimés ? Sur des écrans lumineux ? De nombreuses connaissances scientifiques sont également introduites : spectres lumineux, longueur d’onde, spectres d’absorption et d’émission, structure de l’œil, interactions entre la lumière et la matière et ses fameux mots en « ion » (diffusion, réflexion, réfraction, diffraction, dispersion).
Une approche basée sur l’expérience
L’expérience est au centre de notre approche et la progression dans la formation se fait par une suite de questions / expérimentations / discussions / explications. Chaque fois que c’est possible, les participants sont invités à réaliser les expériences eux-mêmes, et quand des explications sont avancées, une « preuve » expérimentale est proposée. Sans cette étape pratique, le risque est de passer à côté des subtilités inhérentes à une expérience « réelle », sans parler des éventuelles difficultés techniques de mise en œuvre.
C’est aussi l’occasion de montrer comment, à partir de la complexité de la réalité, on peut dégager des règles et des modèles, qui permettent d’avancer dans la compréhension et la prédiction des phénomènes.
Enfin, il est souvent plus intéressant de retenir la méthode permettant de retrouver un résultat que le résultat lui-même. C’est d’ailleurs une des spécificités de la méthode scientifique : tout un chacun a (en principe) la possibilité de vérifier, voire éventuellement de remettre en cause les explications qui lui sont proposées.
Pour la mise en pratique en classe et l’approfondissement de certaines notions, les participants peuvent s’appuyer sur le site internet 123couleurs.fr que nous développons depuis 2015, et qui a pour objectif de proposer des expériences, des explications et des ressources matérielles au plus grand nombre. La plupart des expériences proposées pendant la formation sont reprises sur le site.
1ère jour : introduction et établissement des règles de mélange des couleurs
Quels mots associez-vous au mot « couleur » ?
Au début de la formation, chaque participant est invité à noter sur un morceau de papier trois mots qu’il associe au mot « couleur ». Ces mots nous permettent de savoir ce que les participants ont en tête et ils reflètent la culture propre à chacun : peinture et pigments pour les personnes qui ont une culture plutôt artistique, longueur d’onde et spectre pour celles qui ont une culture plutôt scientifique.
Comment se mélangent les matières colorées ?
Pour répondre à cette question, les participants sont séparés en petits groupes, chaque groupe explorant les mélanges de matières colorées avec un médium différent : filtres en plastiques colorés, colorants alimentaires, feutres, pâtes à modeler.
La mise en commun des différents résultats permet de prendre conscience qu’à des nuances près, les règles de mélanges sont comparables d’un médium à l’autre. Ces règles sont celles de la synthèse dite soustractive des couleurs. Elles sont aussi l’occasion de définir ce qu’on appelle une couleur primaire.
D’un point de vue méthodologique, l’exploration des mélanges de matières colorées est particulièrement intéressante avec les enfants : elle demande une organisation rigoureuse, tant dans le choix des mélanges qui sont faits que dans la façon de noter les résultats obtenus.
Comment ces règles sont utilisées en pratique ?
Ces règles sont par exemple utilisées pour reproduire les couleurs sur des supports imprimés. La technique de quadrichromie, qui est la plus répandue, utilise des encres primaires jaune, cyan et magenta, auxquelles s’ajoute de l’encre noire qui permet notamment d’augmenter les contrastes.
Pour reproduire les couleurs, cette technique fait appel à des superpositions de taches d’encres pour les couleurs les plus saturées, mais également à des juxtapositions, que l’on ne peut discerner à l’œil nu (on parle dans ce cas de mélange optique).
Les règles de la synthèse soustractive sont également utilisées pour obtenir une large gamme de couleurs à partir d’un nombre réduit de colorants.
La technique de chromatographie permet de réaliser une opération « magique » : séparer des colorants qui ont été mélangés. Les différents participants sont invités à lire chez eux le protocole qui est décrit de façon détaillé sur le site 123couleurs.fr, puis à le tester sur l’ensemble des feutres d’une boîte. Les résultats obtenus et les difficultés rencontrées sont discutées collectivement au début de la deuxième journée de formation. La chromatographie est l’occasion d’initier les enfants à une véritable technique de laboratoire, qui demande soin et méthode.
Comment se mélangent les lumières colorées ?
Si les règles de mélange des matières colorées sont familières pour beaucoup d’entre nous, en particulier pour les jeunes enfants qui sont habitués à manipuler de la peinture, il n’en est pas de même des mélanges de lumières colorées. Or quand on teste ces mélanges avec trois sources de lumière blanche et un jeu de filtres colorés, on s’aperçoit que les règles établies précédemment ne sont plus valables : les couleurs jaune, cyan et magenta peuvent être obtenues par mélange (respectivement de lumières verte et rouge, verte et bleue, et bleu et rouge) et ne sont donc plus des couleurs primaires.
Les nouvelles couleurs primaires (définies par le fait qu’elles ne peuvent pas être obtenues par mélange) sont le rouge, le vert et le bleu, qui donnent du blanc quand on les mélange toutes les trois ensemble. Ces nouvelles règles sont celles de la synthèse dite additive des couleurs, dont la symétrie avec les règles de la synthèse soustractive ne semble pas relever du hasard : les primaires de l’une sont les secondaires de l’autre ; dans un cas, on part du noir et on arrive au blanc (avec les mélanges de lumières), dans l’autre c’est le contraire (avec les mélanges de peintures).
Comment ces règles sont utilisées en pratique ?
Nous utilisons les règles de mélanges des lumières colorées sans même le savoir chaque fois que nous regardons un écran lumineux (ordinateur, télévision, smartphone, etc.). Et comme pour les supports imprimés, un microscope numérique permet facilement d’en visualiser le fonctionnement : des paquets de trois rectangles lumineux, rouge, vert et bleu, appelés « pixels », recouvrent tout l’écran.
En ajustant l’intensité lumineuse des rectangles rouge, vert et bleu de chacun des pixels, on peut reproduire la (quasi) totalité des couleurs que nous connaissons. C’est le codage RVB des couleurs. À la distance à laquelle nous regardons habituellement les écrans, ces rectangles lumineux ne peuvent pas être discernés et le mélange se produit dans notre œil (ici encore c’est un mélange optique).
Comment les couleurs se mélangent sur une toupie en rotation ?
La première journée se termine par cette question ouverte, avec en sous-entendu : les couleurs sur une toupie en rotation se mélangent-elles comme les matières colorées ou comme les lumières colorées ? Comme pour la chromatographie des encres de feutres, chaque participant est invité à tester chez lui cette autre façon de mélanger les couleurs et les résultats obtenus par chacun sont discutés avec l’ensemble du groupe au début de la deuxième journée.
2ème jour : le temps des explications
Le deuxième jour de formation va permettre d’apporter des éléments de réponse aux nombreuses questions qui se posent suite aux observations de la première journée. Pourquoi trois couleurs primaires et pas quatre ? Pourquoi celles-là et pas d’autres ? Pourquoi cette symétrie parfaite entre les règles des synthèses additive et soustractive ? Et pourquoi les appelle-t-on « additive » et « soustractive » ? (qu’est-ce qu’on additionne ou soustrait ?)
Qu’est-ce qui nous permet de dire qu’une pomme est rouge ?
Nous proposons pour commencer de revenir à des choses simples et de se demander ce qui est nécessaire pour voir des couleurs. On réalise alors qu’il faut de la lumière blanche (une lumière colorée modifie la couleur des objets) ; un objet, c’est-à-dire de la matière, qui renvoie une partie de la lumière vers nous ; des yeux et un cerveau. Et c’est en analysant ces différents éléments (de quoi la lumière blanche est-elle faite ? que fait la matière sur la lumière ? comment fonctionne notre système visuel ?) que nous pouvons espérer répondre à l’ensemble des questions précédentes.
Première étape : de quoi la lumière blanche est-elle faite ?
Nous avons vu lors de la première journée qu’il est possible d’obtenir une lumière blanche en « mélangeant » des lumières rouge, verte et bleue. Mais qu’en est-il de la lumière blanche qu’on utilise pour s’éclairer, qu’elle soit naturelle (la lumière directe ou indirecte du Soleil) ou artificielle (lampes) ?
Pour obtenir cette information précieuse, il est nécessaire de faire ce qu’on appelle une expérience de décomposition de la lumière. Et si la décomposition par un prisme est la technique la plus célèbre (Newton l’a utilisée en 1666), ce n’est généralement pas la plus facile à mettre en œuvre.
Nous présentons donc aux participants différentes expériences et objets qui permettent de décomposer facilement la lumière blanche en classe : bassine d’eau et miroir (prisme à eau), disque compact, lunettes de diffraction. Ces expériences permettent de voir que la lumière blanche du Soleil ou d’une lampe halogène est composée d’un mélange continu de lumières colorées « pures » allant du violet au rouge, en passant par le bleu, le cyan, le vert et le jaune, un dégradé communément appelé « les couleurs de l’arc-en-ciel ».
C’est l’occasion de parler de la nature physique de la lumière (la lumière est une onde électromagnétique) et d’introduire les notions de spectre et de couleurs spectrales. L’occasion aussi de rappeler que toutes les couleurs que nous connaissons ne sont pas dans l’arc-en-ciel : on n’y trouve en particulier pas le magenta (qu’on appelle pour cette raison « couleur extra-spectrale »).
Deuxième étape : que fait la matière sur la lumière blanche ?
Quand un objet est éclairé par de la lumière blanche, il reçoit donc toutes les couleurs « lumière » pures de l’arc-en-ciel. Et c’est la capacité qu’aura cet objet à renvoyer ou à absorber certaines composantes spectrales de la lumière reçue, qui lui donnera sa couleur (si on se limite aux couleurs dites chimiques). À l’aide d’une des expériences de décomposition décrite précédemment et en plaçant devant la source de lumière blanche des filtres colorés, il est possible de voir quelles parties du spectre sont absorbées par les filtres et quelles parties sont transmises. Cette propriété peut ensuite se généraliser à l’ensemble des objets colorés, y compris ceux qui ne sont pas transparents. On comprend ainsi qu’un objet jaune absorbe préférentiellement la partie bleue du spectre (violet-bleu), un objet cyan la partie rouge du spectre, et un objet magenta la partie verte du spectre. Une couleur primaire des mélanges de matières colorées absorbe ainsi une couleur primaire des mélanges de lumières colorées.
On parle de synthèse « soustractive » pour les mélanges de matières colorées car on fait référence au fait que les matières colorées « soustraient » des couleurs « lumière » pures à la lumière blanche qu’elles reçoivent. Par exemple, en mélangeant une matière jaune avec une matière cyan, les parties bleue et rouge du spectre sont absorbées, et seule la partie verte est réfléchie ou transmise : on voit du vert. D’un point de vue méthodologique, ces expériences mettent en évidence la puissance du raisonnement logique et déductif, raisonnement qui peut se faire même avec de très jeunes enfants car il ne fait appel à aucune équation (tout se voit avec les yeux !).
À la fin de cette séquence, les enseignants sont invités (par provocation) à revoir leur façon de parler des couleurs à l’école : plutôt que de dire aux enfants « prenez une feuille blanche », il faudrait leur dire : « prenez une feuille qui renvoie toutes les couleurs de l’arc-en-ciel ». Plutôt que de dire « coloriez cette feuille en jaune » il faudrait dire « enlevez le bleu de la lumière », plutôt que de dire « coloriez cette feuille en cyan » il faudrait dire « enlevez le rouge ». Les enfants comprendraient ainsi pourquoi en la coloriant à la fois avec de la peinture jaune et cyan, la feuille devient verte. Nous les invitons ainsi à raisonner du point de vue de la lumière, et pas de la matière.
Troisième étape : comment voyons-nous ? Et surtout, comment voyons-nous les couleurs ?
A ce stade, nous avons compris que la couleur que nous percevons est directement liée à la composition spectrale de la lumière qui entre dans nos yeux. Nous avons compris qu’une couleur primaire « matière » absorbe une couleur primaire « lumière ». Mais nous n’avons toujours pas compris pourquoi trois couleurs primaires (et pas quatre ou cinq) et pourquoi celles-là et pas d’autres.
C’est le moment de se souvenir que la couleur est d’abord et avant tout une sensation (certains contesteraient cette formulation en mettant en avant la dimension culturelle de la couleur) qui se fait par l’intermédiaire de notre système visuel (yeux, cerveau). C’est aussi le moment d’introduire un modèle simplifié de notre système visuel, qui permet de comprendre une grande partie des phénomènes décrits précédemment : nous percevons les couleurs via des millions de capteurs différents appelés cônes et placés au fond de l’œil, sur la rétine. Ces cônes sont de trois types et trois types seulement, avec des zones de sensibilité différentes dans le spectre de la lumière : un premier type (B) est sensible dans la gamme des bleus, un deuxième (V) dans la gamme des verts, et seul le troisième type (R) est nettement sensible dans la gamme des rouges .
Quand on mélange des lumières colorées, on commence par se mettre dans l’obscurité, les trois types de capteurs sont inactifs : c’est « noir ». Puis on allume une lampe émettant une lumière correspondant à l’une des trois couleurs « lumière » primaires (rouge, verte ou bleue), ainsi on active (dans notre modèle simplifié) un seul type de capteur. Quand les trois lampes sont allumées, les trois couleurs « lumière » primaires sont mélangées donc les trois types de capteurs sont activés : on voit du blanc.
Pour les mélanges de matières colorées c’est le contraire : on part d’une feuille blanche qui renvoie vers nos yeux tout le spectre de la lumière qui l’éclaire, les trois types de capteurs sont activés : c’est « blanc ». Puis chaque couleur « matière » primaire (jaune, cyan ou magenta) déposée sur la feuille désactive un type de capteur. Quand les trois couleurs primaires « matière » sont mélangées, tous les capteurs sont désactivés : on voit du « noir ».
Objet coloré et lumières colorées
Le schéma précédent, qui récapitule l’ensemble des règles que nous avons découvertes par l’expérience puis interprétées grâce à un modèle simplifié de la vision trichromique humaine des couleurs, est satisfaisant mais pas forcément très simple pour un néophyte. Il est bon de le réutiliser dans une situation un peu différente, afin de consolider ses connaissances et sa compréhension des phénomènes.
On propose donc une expérience permettant de retravailler l’ensemble des notions discutées pendant la formation. Il s’agit de voir et de comprendre comment un objet composé de couleurs simples se transforme quand il est éclairé avec une lumière colorée, ou (ce qui revient au même) quand on le regarde à travers un filtre coloré. En raisonnant sur la façon dont les matières colorées agissent sur les compositions spectrales des lumières colorées, on peut comprendre les transformations des couleurs observées. Essayez !
Est-ce la fin de l’histoire ?
Pour finir la formation, nous évoquons des phénomènes colorés qui ne rentrent pas dans le cadre simple discuté précédemment mais qui peuvent donner lieu à des phénomènes spectaculaires.
Premier exemple : toutes les couleurs que l’on rencontre autour de nous ne relèvent pas de ce qu’on appelle les couleurs chimiques, c’est-à-dire de l’absorption par un colorant ou un pigment d’une partie du spectre de la lumière. Dans certains cas, des phénomènes physiques, comme les interférences, sont à l’origine de la modification du spectre de la lumière : couleurs des bulles de savon, reflets colorés sur un CD, couleurs de polarisation, etc.
Deuxième exemple : notre système visuel nous joue parfois des tours colorés, qui traduisent sa richesse et sa complexité. On pourra montrer sur des illustrations le phénomène de contraste simultané qui a tant inspiré les artistes et qui démontre que des couleurs vues simultanément interagissent les unes avec les autres.
Mais l’exemple sans doute le plus spectaculaire et qui peut donner lieu à des situations très ludiques avec des enfants, est celui des images rémanentes. En regardant fixement une image colorée, puis en déplaçant son regard sur un fond uniformément blanc, on voit apparaître (pendant un certain temps) une image avec la même géométrie mais aux couleurs complémentaires de celles de l’image d’origine (le jaune devient bleu, le cyan devient rouge, le magenta devient vert, et réciproquement). Cette expérience montre que les couleurs sont parfois dans nos yeux et dans notre cerveau, et non dans la matière ou la lumière qu’on regarde.
Références conseillées
Quelques livres
« Traité des couleurs », Libero Zuppiroli, Marie-Noëlle Bussac et Christiane Grimm, Édition Presses polytechniques et universitaires romandes (2011).
Un très beau livre à la fois pour ses photographies et son contenu scientifique, où les modélisations des phénomènes physiques, accessibles aux spécialistes, sont présentées dans une seconde partie.
« La couleur dans tous ses éclats », Bernard Valeur, Édition Belin pour la science (2011).
50 sujets traités sur une double page, avec de belles illustrations, très abordable aux non spécialistes.
Un éclairage rapide et efficace sur des phénomènes colorés très variés.
Quelques sites
Notre site internet dédié aux aspects scientifiques de la couleur avec : des propositions d’expériences, des explications, et à la vente, du matériel spécifique et des kits pédagogiques que nous avons créés.
http://concourscouleurs38.blogspot.com/
Le blog d’un concours destiné aux écoles primaires de l’académie de Grenoble et que nous avons co-organisé en 2015 dans le cadre de l’année mondiale de la lumière. Vous y trouverez la fiche d’accompagnement et surtout les contributions scientifiques et artistiques de certaines classes (cliquez sur l’onglet « vos contributions »). Une mine d’idées pour des activités à faire avec des enfants !
https://www.fondation-lamap.org/
Le site de la fondation la main à la pâte, avec de nombreux documents et plusieurs propositions de séances sur les couleurs (entrez le mot « couleur » dans le moteur de recherche en haut de la page d’accueil).
Excellent article illustrant l’intérêt de combiner observations, expériences et raisonnements pour enseigner la couleur. Une vraie démarche scientifique pour tous les âges 🙂
merci Vinciane de diffuser l’existence de cette initiative qui donne aux enfants une bonne « boîte à outils » pour l’immédiat et le futur tant comme spectateurs au quotidien que comme inventeurs dans les arts, dans les sciences.
Merci Félix, voilà qui résume bien l’effet potentiel d’une telle initiative!
mes soucis de vision face aux écrans m’ont conduit sur votre site; Bravo, le thème des couleurs offre une gymnastique intellectuelle propre à tout âge et initiatrice qui doit retenir la meilleure attention de nos maitres d’école. Il m’est arrivé de piloter des projecteurs avec des filtres rouges pour colorer la scène de rouge ou de filtrer avec le rouge mon objectif photo pour éliminer les tons trop rouges et mon désespoir (de singe) est des ne plus savoir quand je dois ajout er et quand je dois soustraire. Bref je vais vous relire lentement mais je reste contaminé par de vieilles croyances mal enseignées qui obscurcissent ma vision. La pomme parait elle rouge car elle rejette le vert et le bleu ou inversement parce qu’elle renvoie le rouge ? En attendant d »en saisir davantage sur la quadrichromie….
Merci de votre commentaire et ravie de lire que vous appréciez la gymnastique intellectuelle suscitée par ce blog. Je transmets votre message aux auteurs de l’article, invités ici, dans cette série dédiée à l’enseignement de la couleur, à partager leur pratique. Pour ma part, dans cette matière, je regrette surtout la propagation de l’idée qu’une couleur est une longueur d’onde, et la croyance qu’un objet de telle ou telle couleur réfléchirait telle ou telle longueur d’onde, par exemple une pomme jaune réfléchirait la longueur d’onde proche de 570 nm. D’abord, la couleur n’existe pas dans le monde physique, c’est une fabrication de l’esprit. Et une couleur, si elle provient d’un objet familier comme une pomme, est élaborée dans notre esprit à partir d’un spectre, c’est-à-dire une véritable soupe de rayonnements de différentes longueurs d’ondes, pas seulement d’un paquet d’ondes concentrées autour d’une longueur d’onde donnée. Comme dans une soupe, la quantité de telle ou telle longueur d’onde varie. Si cette « soupe », contient à peu près la même quantité de toutes les longueurs d’ondes visibles, alors elle nous paraîtra blanche…ou grise, ou peut-être même noire, selon la quantité en question. Il est cependant commode d’analyser cette « soupe », sur base de la proportion dans trois segments du visible: les courtes, moyennes et longues longueurs d’ondes, soit les segments [400-480], [480-570], et [570-700]. Selon ces proportions, la « soupe » réfléchie par l’objet paraîtra de telle ou telle couleur. Par exemple, une pomme jaune, réfléchira, « à la grosse louche », très peu de courtes et beaucoup de moyennes et longues longueurs d’ondes. Aussi, la pomme qui vous paraît rouge réfléchit sans doute essentiellement des longues longueurs d’onde. Avec ce modèle assez simple, on comprend aisément que la pomme, ou plus généralement tout objet, ne peut « que » renvoyer l’entièreté ou une partie de ce qu’il reçoit. Aussi, si l’éclairage qui illumine la pomme ne contient que des courtes longueurs d’ondes (un éclairage qui paraît bleu), la pomme semblera noire, n’ayant aucune moyennes et longues longueurs d’onde à sa disposition pour les renvoyer. Quant au filtre, cet objet transparent coloré, il laissera passer une partie du spectre (à nouveau, selon certaines proportions dans les trois segments mentionnés), et dans ce sens, en effet, le filtre « soustrait » des longueurs d’ondes et modifie ainsi la perception. Enfin, le dernier point qui me semble le plus souvent manquer dans l’enseignement de la couleur est le contexte dans lequel la couleur est vue. Si une étude approfondie de ce sujet est complexe, le seul fait de l’évoquer me semble fondamental: un brun peut paraître orange, un gris jaune ou bleu, selon le contexte. Cet aspect me semble plus fondamental que celui des synthèses additives et soustractives et des fameuses couleurs dites primaires et secondaires, concepts encore très (et trop!) présents dans l’enseignement de la couleur.
Par ailleurs, voici la réponse de Sylvie Zanier, co-autrice de l’article, qui d’autre part vous recommande la lecture de cet article pour mieux comprendre la couleur des objets: https://www.123couleurs.fr/articles/objetjaune/
Synthèse additive et soustractive, on a parfois tendance à mélanger tout ça allègrement !
Preuve que ça n’est pas si simple, et pas toujours bien enseigné ou expliqué dans les livres.
On a pu s’en rendre compte récemment avec Julien aussi en formant des animateurs qui vont travailler sur une expo sur la couleur présentée prochainement au Cellier de Reims (exposition itinérante montée par la structure Museoscience, à laquelle on a donné un petit coup de main). La bonne compréhension de ces phénomènes nécessite de prendre le temps de bien décomposer le rôle de la lumière, la matière et le système visuel. Sans ça on a vite fait de se mélanger les pinceaux !