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Fernand Léger: « La couleur est une nécessité vitale »

    « Le beau est partout » tel est l’intitulé de l’exposition de Fernand Léger (1881-1955) à BOZAR. « il n’y a pas de Beau catalogué, hiérarchisé »  écrit-il encore. Voilà qui nous autorise à nommer « beauté » ce que nous ressentons comme tel. Quelle liberté face à ceux qui nous prescrivent ce qu’il faut admirer!

    « La couleur est une nécessité vitale. C’est une matière première indispensable à la vie, comme l’eau et le feu » écrit-il en 1937. Il faut dire qu’il a passé trois années dans les tranchées, dans la couleur boue de la guerre.

    Léger, apprenti dès 16 ans dans un cabinet d’architecture, s’intéresse aussi à la couleur dans l’architecture. « Comment créer un sentiment d’espace, de rupture des limites ? Tout simplement par la couleur, par des murs de différentes couleurs. L’appartement que j’appellerai « rectangle habitable » va se transformer en « rectangle élastique » […] La couleur est un puissant moyen d’action, elle peut détruire un mur, elle peut l’orner, elle peut le faire reculer ou avancer, elle crée ce nouvel espace.» [1]

    Dans une recherche d’efficacité visuelle, Léger se laisse guider par l’esthétique du contraste maximal [2]. Dans la peinture ci-dessous, remarquez le personnage, peint intégralement dans les tons neutres, tandis que les couleurs moins saturées entourées de noirs et de blancs sont reléguées dans le fond. Il s’agit d’un « contraste de qualité », selon la terminologie d’Itten (1) qui a proposé sept formes de contrastes. Il est renforcé par une autre forme de contraste (non répertorié par Itten), à savoir la manière de traiter les formes en dégradé dans la figure à l’avant-plan, qui suggère un volume, et en aplat dans le fond, qui suggère un plan. On retrouve cette caractéristique dans plusieurs de ses peintures. Parfois il remplace le « contraste de qualité », par un « contraste de complémentaires » tout en gardant du relief pour les formes, des aplats pour le fond.

    Il expérimente aussi la couleur en dehors du trait, comme si les couleurs avaient leur indépendance par rapport au trait, leur vie propre . Regardez « les cyclistes », « Les femmes au perroquet », «femme à la fleur», la série de lithographies illustrant les poèmes de Rimbaud, ou encore les illustrations de Paris qu’il réalise pour son ami poète Blaise Cendras.

    Si le travail de Léger ne m’émeut pas, je n’en reste pas moins inspirée par sa démarche, son ancrage dans son époque, sa recherche d’expression graphique, sa fascination pour le progrès, son émerveillement devant la modernité. A ce titre, le paragraphe ci-dessous est étonnant, tant il pourrait sembler d’actualité, alors qu’il a été écrit en 1914.

    « L’existence des hommes créateurs modernes est beaucoup plus condensée et beaucoup plus compliquée que celle des gens des siècles précédents. La chose imagée reste moins fixe, l’objet en lui-même s’expose moins que précédemment. Un paysage traversé et rompu par une auto ou un rapide perd sa valeur descriptive mais gagne en valeur synthétique […] L’homme moderne enregistre cent fois plus d’impressions que l’artiste du XVIIIe siècle ; par exemple, à tel point que notre langage est plein de diminutifs et d’abréviations.» [4]

    [1] http://www.centrepompidou-metz.fr/le-corbusier-et-l-ger-visions-polychromes
    [2] http://www.centrepompidou-metz.fr/sites/default/files/images/dossiers/2017.06-FERNAND-LEGER.pdf
    [3] Johannes Itten, Art de la couleur,  Dessain & Tolra
    [4] Fernand Léger, Fonctions de la peinture, Les réalisations picturales actuelles, 1914, p.40.

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