Aller au contenu

Anne Élisabeth, la couleur pour ouvrir le cœur

    Artiste, styliste, femme entrepreneur, Anne Élisabeth joue avec les teintes, les tissus et les défis, pour son plaisir et pour le nôtre.

    A l’inspiration, Anne Élisabeth absorbe les odeurs, les couleurs, les sons et les sentiments; à l’expiration, elle crée des motifs, des modèles de robes et des histoires poétiques qui les dévoilent.

    A droite, la robe de mariée de la grand-mère d’Anne Élisabeth

    L’enfance

    Le jeudi et le dimanche, Anne Élisabeth et ses sœurs cousent tout en écoutant de la musique. Le père est présent : dans le salon familial, je l’imagine émerveillé de la beauté des étoffes, tel le peintre Vuilllard plongé dans l’univers féminin, se délectant de les voir toutes à l’ouvrage, heureuses d’être ensemble et de créer. Créer pour être belles, pour aller danser, pour faire la fête.

    Sa maman est coquette, pleine de gaité et d’énergie, toujours prête pour sortir chez les amis. Et pour sortir, il faut s’habiller. Petite, Anne Élisabeth est parfois jalouse de ses condisciples habillées en vichy rose ou bleu, dans des vêtements sages et classiques, alors que ses soeurs et elle arborent des tenues originales, parfois excentriques. Mais ce sentiment est passager. Très tôt elle s’habille de couleurs subtiles, qui n’ont pas de nom, qui passent à côté de la mode, mais pas à côté du style.

    Le goût de l’aventure

    En 1977, Anne Élisabeth et son compagnon partent sac au dos pour un long voyage en Asie: Thaïlande, Hong Kong, Taïwan, Philippines, Malaisie, Bali, Singapour. Bloqués plusieurs jours par une tempête, ils trouvent refuge sur une île des Philippines. Anne Élisabeth y découvre, sur un marché local, de magnifiques sacs de farine personnalisés à l’emblème de la compagnie productrice (« Milling Company ») : à chacune son lettrage, ses images, ses couleurs. Elle imagine déjà les sacs transformés en tops aussi jolis que comfortables. Elle en achète quelques-uns, met au point son prototype et dans les jours qui suivent, achète ou fait acheter tous ceux qu’elle trouve. La famille qui les loge est mise à contribution et s’engage à envoyer toute la production en container. A son retour de voyage, trois mois plus tard, le couple récupérera au Havre trois mille jolis tops pur coton; il seront baptisés « les Millings » .

    L’apprentissage du métier

    Le top a son petit succès, et le couple audacieux décide de ne pas en rester là. Nouvel objectif: se faire connaître. Un stand minuscule est loué au salon du prêt-à-porter où sont présentes toutes les grandes marques. Ils espèrent écouler les tops. En dernière minute, Anne Élisabeth décide d’y ajouter une petite robe marin qu’elle vient de terminer. Les tops sont ignorés, la robe fait un tabac. Des journalistes se pressent devant leur stand. Anne Élisabeth, enceinte jusqu’aux yeux, doit assumer ce succès et surtout assurer le suivi du modèle. Elle sait inventer, couper, coudre, mais cela ne suffit pas: comment adapter un patron à différentes tailles? Quels sont les fournisseurs de tissus? Le chemin est encore à tracer.

    La petite « Robe Marin »

    Deuxième étape: visites de salons. Aussi, au salon du tissu à Munich, attirée par la beauté de jolis imprimés au stand BOUSAC, elle rencontre Monsieur Gérard, une sommité dans le monde du textile, il l’écoute et la prend sous son aile; pendant dix ans elle se formera à ses côtés.

    Anne Élisabeth et Monsieur Gérard

    Le processus créatif

    Les sens en éveil, Anne Élisabeth se laisse toucher par la lumière, la nature, les paysages, les parfums.

    Inspirations

    A l’affût de jardins remarquables, elle se promène à bicyclette, repère un bosquet de fleurs, s’arrête, l’admire, prend quelques photos. Dans le jardin attenant à la petite maison familiale, elle guette l’éclosion des bourgeons; elle note les variations du miroitement de la lumière sur le chaudron noir devant son atelier: lumière matinale ou vespérale, chacune le révèle différemment.

    Inspiration et papiers colorés

    À Capri, elle est sous le charme du sol couvert de mosaïques d’une petite chapelle; le motif épuré, transformé, se retrouvera dans sa nouvelle collection. Le vol d’une cigogne, un cygne dans la lumière scintillante de l’automne? Photo! Dans ses promenades urbaines, elle personnalise mentalement la ville par sa couleur dominante. Paris est grise et blanc-craie; Londres est acier et gris bleu; Lisbonne, ocre.

    Un jeu de lotto, une pochade voire une croute naïve dénichée en brocante, d’anciennes gravures de mode ou encore des pochettes de disques sont autant de sources d’invention.  Inspirée du graphisme de l’artiste et architecte Hundertwasser, Anne Élisabeth crée au pastel son imprimé « Utopia », renversant les coloris, une variante froide et végétale, une autre pourpre et chaude; c’est le dernier né de la collection hiver.

    « Utopia », inspiré du graphisme d’Hundertwasser, dans des tons plutôt froids à gauche, chauds à droite

    Au travail

    Dans son atelier, elle travaille les photos sur ordinateur, agrandit un détail, inverse les contrastes. Ou bien elle sort ses acryliques, ses pastels  et ses crayons de couleur selon l’idée qu’elle souhaite développer. Les ébauches se retrouvent épinglées au mur.

    La table de travail dans l’atelier

    D’autres matières, parfois d’anciennes créations ou encore une étoffe dénichée  sur un marché, seront posées à côté, sur la table de travail, pour une transformation à venir. Là, des milliers de bouts de tissus colorés, unis, rangés par teinte, sont conservés dans des bocaux  comme une gamme de couleurs vivante, témoin de toute une vie. C’est sa méthode pour transmettre les coloris à l’imprimeur: pour elle, aucun ton n’est plus fidèle que le véritable coloris pioché dans sa collection. 

    Des bocaux de tissus unis pour communiquer les couleurs à l’imprimeur et une étoffe en transformation

    L’écriture

    Si les couleurs ont leur importance, les mots en ont également, surtout s’ils sont évocateurs. On trouve sur son blog l’ « or mirabelle », le « bois de rose », le « rose arpège » et d’autres associations poétiques de son cru. Les atmosphères qu’elle perçoit à la lecture de romans se retrouvent dans l’un ou l’autre thème, comme la « Nuit ukrainienne » née de la Garde de Blanche de Mikhail Boulgakov ou « L’Oiseau à ressort », en hommage à son écrivain culte Murakami.

    Dans son atelier, elle se sent comme un chef en cuisine : adoucir, relever, pimenter, accorder, tout le vocabulaire culinaire qualifie son processus créatif.

    Anne Élisabeth dans son atelier

    Femme orchestre

    Chaque saison Anne Élisabeth crée tous ses dessins. Ils sont imprimés en Italie. Selon le type de vêtement qu’elle a en tête, ils sont déclinés sur différents supports, choisis pour leur tombé ou leur plombant, leur légèreté ou leur aspect craquant.   Elle dessine toutes les formes, transmet ses croquis à sa modéliste qui en fera une toile, puis le patron. Après essayage et validation, c’est l’étape de la production industrielle. Tout est fabriqué dans une petite usine au Maroc, elle y va régulièrement, contrôlant la coupe et la chaîne.

    Élaboration du modèle « Nail Bar » de l’été 2017

    A l’arrière d’une de ses boutiques elle a installé un petit studio photo. Elle prend les photos elle-même, les édite, puis les ajoute à son site d’e-commerce. Un dispositif simple et original permet de présenter les tissus nouvellement créés: suspendus sur un fil au gré du vent, dans un paysage en harmonie avec le motif, elle les fige dans une photo qui, accompagné d’un texte de sa plume, alimentera son blog.

    On croise souvent Anne Élisabeth dans ses boutiques. Elle y rencontre ses clientes, les écoute, et se réjouit en les voyant mises en valeur par ses créations. Une mère lui partage son choix de robe pour le mariage de son fils. Une commerciale lui confie qu’elle a plus d’assurance quand elle porte du Anne Élisabeth. Une femme médecin prétend que joliment habillée, elle ouvre le coeur de ses patients, plus enclins à lui faire confiance.

    Dans la boutique rue Turbigo à Paris

    Une collaboration rêvée

    Derrière un grand homme se cache une femme, derrière Anne-Elisabeth, il y a un mari, compagnon des premiers jours; s’il s’occupe de la gestion et des finances, il est aussi le premier regard. Ensemble, ils élaborent les grandes lignes de la collection.

    Le futur

    Dans ses projets, peut-être un livre. Anne Élisabeth a la plume légère et imagée. Elle cultive son goût pour l’écriture quotidiennement. Si je rêve pour elle, je vois une exposition à Giverny, dans la maison de Monet, à côté de ce magnifique jardin qui l’inspire à chacune de ses visites, quelle que soit la saison.

    Le site d’Anne Élisabeth: https://www.anne-elisabeth.com/fr/

    Outils de travail
    Partager l'article

    Laisser un commentaire

    Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *